Un coup de coeur de Sarah V.
Le sujet est donc déconcertant de simplicité : une galerie de Tokyoïtes nocturnes s’accoudent au bar en forme de fer à cheval. Le titre du chapitre révèle un plat comme le natto, le katsudon ou le tsuma du sashimi. Alors, un silence gourmand s’installe, les regards se croisent et lorsque le plat est servi, le lien se fait enfin: sauce sucrée ou sauce soja pour ce plat ? Le curry de la veille, est-il meilleur le lendemain de sa préparation ? Par le biais d’une pratique culinaire qui touche à l’intime, on découvre ce qui résume l’autre : notre voisin de comptoir. De ces choix sacrés autour de la cuisine traditionnelle japonaise, des saveurs vont rendre nostalgique, des débats s’instaurent, des anecdotes et surtout des rencontres se font. C’est ainsi qu’un yakuza et un gérant de bar gay vont devenir ami grâce aux Wiener (de petites saucisses viennoises coupées en forme de pieuvres et sautés à l’huile).
Quant au dessin, mais quelle gourmandise ! Avec peu de décors, l’auteur se penche sur l’âme de ses personnages de papier : un trait fin, simple et désuet, des visages marqués et aux drôles d'expressions qui nous touchent au plus haut point.
Au fur et à mesure de cette lecture, on ne peut que s’attacher à ces habitués gourmands, qu’ils soient volubiles ou discrets, voir même s’inquiéter lorsqu’ils disparaissent quelques temps.
Après avoir passé plus de 20 ans comme directeur dans une agence de publicité, l’auteur Yarō Abe voulu défaire sa cravate à 41 ans pour entamer une vieille passion : le manga. Quelques années plus tard, La cantine de minuit était née. Construit en courtes nouvelles dans la revue japonaise Big Comic Original entre 2006 et 2008, ce livre publié par Le Lézard Noir, reprend les 2 premiers recueils nippons d’une série 17 volumes en cours. Très populaire au Japon, La cantine de minuit a fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques et d’une série disponible sur Netflix, Midnight Diner.
Décidément, Le Lézard Noir n’a pas fini de nous surprendre ! De l’Ero guro avec Suehiro Maruo à l’étrange Akino Kondoh, en passant par l’hilarant Vagabond de Tokyo et plus récemment le maître de l’horreur Kazuo Umezu, ou encore le fabuleux Minetaro Mochizuki avec Chiisakobe (prix de la série, Angoulême) et Tokyo Kaido… la dégustation de cette Cantine de minuit confirme le talent d'un éditeur à lire absolument.