Un coup de coeur de David Pigeret
Helmar Lerski (1871-1956) est né à Strasbourg (ville alors allemande), naturalisé suisse quelques années plus tard, il se rend aux Etats-Unis en 1893 où il apprendra la photographie puis il va à Berlin en 1915 où il devient notamment chef opérateur pour le Cinéma. En 1932, il s'installe en Palestine alors sous mandat britannique devenant un pionnier de la photographie et du cinéma dans ce pays puis retourne en Suisse en 1948 peu avant la création de l'état d'Israël. Son œuvre photographique très originale est basée sur le portrait. Il sculpte littéralement les visages avec la lumière, jouant sur la plasticité des formes et sur des clairs-obscurs prononcés tel un Caravage de la photographie en utilisant tout un jeu de miroirs et de réflecteurs. Le beau catalogue d'exposition des éditions Gallimard évoque les nombreux aspects de l'oeuvre photographique de Lerski : portraits américains (1910-1915) ; portraits de personnalités berlinoises et série Têtes de tous les jours (1927-1931) proche de l'esthétique de la Nouvelle objectivité ; série Arabes et juifs (1931-1935) et son œuvre majeur : Métamorphoses par la lumière (1935-1936), 137 portraits du même homme transfigurés par la lumière. Ce travail lui fait dire : «J'écrivais «avec la lumière» et du modelé sortirent toutes les formes de ma fantaisie, tour à tour Napoléon, un mendiant, un moine du Moyen-âge, un croisé, un technicien moderne, un fanatique religieux, la statue gothique, le masque mortuaire ». C'est le sommet de son œuvre où son art singulier du portrait fait disparaître à la fois l'illusion de pouvoir saisir l'âme d'une personne et la fiction d'une identité fixe. Il ira même jusqu'à l'abstraction en agrandissant des détails (oeil, plis de la peau...) de ces deux précédentes séries Arabes et juifs et Métamorphoses par la lumière dans une autre série intitulée Paysages du visage (1941). Une oeuvre puissante, saisissante, d'une grande force plastique.