Un coup de coeur de Mollat
Lors de la guerre d'Angola, un jeune sous-lieutenant qui a été témoin des atrocités infligées par ses pairs à la population se met en tête de ramener avec lui un jeune orphelin et de l'élever comme son propre fils. À la cruauté des actes perpétrés par l’armée portugaise ( et concernant lesquels on ignore la véritable implication du père ) se superpose le paradoxe : l’enfant a vu sa mère tuée par les soldats et se trouve adopté par un des leurs. Il doit sa survie comme la mort de tous les siens à ce nouveau père qui s’est emparé de lui comme d’un nouvel objet, qui ne cessait de tempêter à ses camarades : « Ne touchez pas à celui-ci, il est à moi ».
Le trauma originel est là mais le récit ne débute que bien plus tard ; une vingtaine d’année après les faits, alors que le traumatisme finit de nécroser les esprits.
Toute la famille se réunit pour célébrer la tue-cochon dans un village de l'arrière pays, au pied des montagnes. Le père, la mère, leur fille ainsi que le fils adoptif et sa compagne ont alors à se supporter pendant quelques jours – quelques jours qui tourneront au drame car on le sait dès les premières pages : un même couteau lacérera le cou du cochon et la gorge du père.
Lobo Antunes fait entrer tour à tour son lecteur dans les pensées malades de ses personnages et en transcrit magistralement le mode de fonctionnement : le passé n’a de cesse de ressurgir à leur mémoire, comme un présent perpétuel, dans toute son épaisseur, son intensité, sa cruauté. Les temps s'entremêlent jusqu'à se confondre, contraignant les personnages à revivre en boucle la douleur d'un passé jamais exorcisé, ainsi que la honte et la colère d'un présent médiocre, décevant et déjà condamné. En résulte une prose hypnotique qui tisse une toile envoûtante dont il est difficile de réchapper.
Ce livre est un véritable coup de maître !