Un coup de coeur de Anne S
Les Yanomamis constituent le plus grand peuple vivant dans la forêt tropicale profonde et les montagnes situées au nord du Brésil et au sud du Venezuela, habitant le plus vaste territoire autochtone forestier du monde. Les Yanomamis firent l’expérience d’un premier contact dans les années 1940 lorsque le gouvernement brésilien envoya des équipes pour délimiter la frontière avec le Venezuela. A l’heure actuel, ils seraient environ 32 000 individus répartis en 188 villages et maisons collectives sur un territoire avoisinant plus de 240 000 km² au cœur de la forêt humide. A cette époque de nombreuses tribus n'avaient jamais été en contact avec des civilisations extérieures. Très rapidement, Claudia Andujar focalise son travail sur leur moeurs, leur croyances et leurs rites.
Fin des années 70, l’ouverture d’une route transamazonienne par le gouvernement brésilien met en péril l’avenir de ce peuple. Claudia Andujar prend conscience d’assister à un génocide faisant écho à son passé. Dès lors elle s’engage totalement dans la défense de leurs droits et de la protection de la forêt amazonienne. Reléguant son travail artistique en second plan elle devient activiste et fonde en 1978 la Commissao Pro-Yanomami (CCPY) avec le missionnaire Carlo Zacquini et l’anthropologue Bruce Albert et se lance dans une campagne pour la protection et la délimitation du territoire Yanomami contre la prédation de la civilisation occidentale et ses tragiques conséquences sur leur mode de vie millénaire. En 1980, l’afflux illégal d’orpailleurs dans cette région a entraîné une épidémie massive de paludisme et une pollution au mercure des sols, décimant 20% de la population Yanomami dont environ 13% de celle vivant sur le sol Brésilien. En 1989, le gouvernement brésilien signe un décret pour démembrer le territoire en un archipel de 19 micro-réserves. C’est à cette occasion que Claudia Andujar créé son manifeste audiovisuelle intitulé “Genocide of the Yanomami: Death of Brazil “(1989-2018). En 1992, après 15 ans de campagne de la CCPY et de lutte au côté de Davi Kopenawa chaman et porte-parole des Yanomamis, le gouvernement brésilien reconnaît légalement le territoire Yanomami. Il cadastre une zone de 96 000 km² de forêt protégée, sans toutefois le leur reconnaître comme territoire Yanomami.
Claudia Andujar a, durant ces cinquante dernières années, voué son art à la lutte Yanomami. Elle a obtenu en 2000 le Lannan Cultural Freedom Prize, pour son travail de représentation et soutien au peuple Yanomami. En 2018, elle reçoit la Médaille Goethe pour son travail novateur avec ce peuple. Durant la remise de ce prix, Stephen Corry, directeur de Survival International, récompense son engagement mais également “l’héritage unique pour l’Humanité que son travail nous transmet, à nous et pour les générations à venir”.
Cette rétrospective permet de dévoiler l’importance de son travail, tant dans sa portée de mise en accusation politique des abus dont les Yanomamis sont victimes, que sur l’importance de sa recherche photographique dès ces débuts en travaillant sur une esthétique diamétralement opposée au style documentaire du photo-journalisme - notamment avec l’utilisation de filtres et bien d’autres techniques pour faire transparaître et traduire ce qu’elle perçoit de l’expérience chamanique Yanomami.
L’exposition, conçue à partir de plusieurs années de recherches au sein de ses archives personnelles, présente plus de 300 photographies dont un grand nombres d’inédits, son manifeste audio-visuelle dans une nouvelle version réalisée à cette occasion, accompagnée des dessins réalisés par des artistes Yanomamis ainsi que des documents historiques.
Le catalogue de l’exposition est constitué de photographies de Claudia Andujar ainsi que d'extraits de ses carnets, de textes de la commissaire de l’exposition Thyago Nogueira et de l’anthropologue Bruce Albert, de cartes du territoire Yanomami et d'une chronologie documentant l’engagement de l’artiste et l’histoire de ce peuple. Le catalogue est en lice pour le prix Paris Photo-Aperture du catalogue photographique de l’année.