Un coup de coeur de Monica
Si tu sais pas quoi faire, viens à l’usine avec moi cet été. Les mecs là-bas, ils disent toujours ça : Au pire, si tu sais plus quoi faire, tu vas à l’usine. Et ce serait bien pour toi, l’usine. Tu pourrais continuer de vivre la nuit.
Mehdi, Thomas et Louise, amis d’enfance arrivés sur le seuil de l’âge adulte se retrouvent le temps d’un été aux Verrières, le quartier où ils avaient grandi.
Enfants d’ouvriers, ce n’est pas pour autant que leurs trajectoires sont similaires : Louise s’apprête à commencer une thèse de doctorat sur le sujet des travailleurs transfrontaliers. Mais son frère, Thomas, vient de rater son année et rentre se réfugier à la maison en cachant l’échec aux parents. A défaut d’autre chose il se fait embaucher à l’usine. La même usine où leur père avait travaillé toute sa vie pour permettre à ses enfants de poursuivre des études.
Thomas, l’étudiant qui jurait avant de rater ses études de ne jamais foutre les pieds dans cette usine à laquelle son père avait fait don de sa santé et de sa joie (…)
Mehdi, travailleur saisonnier l’hiver dans une station de ski, ouvrier à l’usine l’été, aide aussi son père qui fait rôtisseur sur les marchés depuis qu ‘il a quitté l’usine. Dompteur de Miranda, la machine sur laquelle il travaille absent, tendu depuis plusieurs étés, il va apprendre les rudiments de celle-ci à Thomas, son nouveau collègue.
Mais l’usine n’est plus ce qu’elle était autrefois, mère nourricière et ogresse dévoreuse pour les pères, elle est devenue une maîtresse rare et capricieuse pour les fils : elle s’apprête à décamper, à les quitter, à fermer, à déménager. Cet été est aussi le dernier de l’usine.
Le roman de Thomas Flahaut s’inscrit dans la lignée des romans sociaux abordant la lisière, l’héritage social, mais il y apporte un regard concrètement sociologique à travers le personnage de Louise, partagée entre son statut de chercheuse – enquêtrice et élément à part entière du monde qu’elle étudie. Si l’on s’attache à tous les personnages, c’est Louise le plus complexe – dedans et dehors, tant sur le plan social qu’affectif. La scène de l’interview de Mehdi est un concentré de cette dualité aussi compliquée qu’une déchirure.
Et Louise éteint son dictaphone, soulagée d’avoir pu consigner une observation, même anecdotique. A défaut de pouvoir s’entretenir avec ses proches, effrayée qu’elle est de les blesser, d’imposer entre elle et eux ce qu’elle ne peut voir que comme un rapport de domination, elle peut encore récolter des fragments de réalité comme on ramasse les fruits tombé de l’arbre.
C’est la nuit que l’on travaille, la nuit que l’on fait la fête, la nuit que l’on s’aime. Le rythme de l’usine semble avoir donné le La au rythme de la vie des jeunes qui l’entourent. Un amour naît, un mensonge éclate. C’est l’été où tout bascule, l’été de la fatalité. Peut-on dépasser sa condition ?
Les nuits d’été se lit d’une traite, une seule. On y pense longuement après, on a du mal à s’en détacher. Encore plus de mal à oublier ses personnages : sans que l’on prenne garde, ils se sont immiscés dans notre vie.
Mehdi ment un peu. Il ne ressent pas rien. Il ressent le vide. Les gens comme moi ne sont là que pour remplir brièvement des espaces vides, pense-t-il. C’est à ça que nous servons. Nous sommes des mottes de terre que l’on déplace dans des trous. Ces trous, nous sommes encore les seuls à pouvoir les remplir. Plus pour longtemps, dit-on. Les trous deviennent rares, se rétrécissent.