Un coup de coeur de Monica
L'histoire est racontée par le père, veuf suite à la disparition de sa femme emportée par le cancer après trois ans de soins et de souffrances. Nos sommes en Lorraine, pas très loin de Metz. La parole du père s 'en ressent : agent SNCF en charge des caténaires, encarté au PS de père en fils, sa vie s'en retrouve bouleversée par ce deuil qui n'en finissait pas d'arriver.
Lorsque l'épée tomba, il fallut réapprendre la vie avec deux jeunes garçons à la maison : remplacer « la moman » il n'en était pas question – sa place est restée définitivement vide. Mais créer des nouveaux liens, responsabiliser l'aîné, Fus, pour prendre soin de son frère en l'absence du père cheminot, digérer l'absence, s'accrocher au boulot, trouver une nouvelle cadence.
On ne naît pas parent, on le devient, et parent seul devant négocier le deuil de ses fils ainsi que leur arrivée à l'adolescence, n'est pas une sinécure... On ressent, en lisant, de l'impuissance parfois, de la tristesse, mais surtout un vrai et ardent désir de comprendre ses deux « zèbres ». Pudique, le père n'intervient pas dans leurs vies, même lorsqu'il sent qu'il le devrait. Lorsque le grand, Fus, lâche la rampe en fin de collège et que deux trois ans plus tard il intègre une bande un chouïa à part.
La section, où il va « comme à l'église » est le seul endroit où il peut retrouver un peu de sérénité – mais même là les choses ont changé. L'unique partenaire de discussion qui lui redonne de l'espoir est Jérémy, ancien copain d'enfance de Fus, militant au PS et aspirant Sciences Po. Jérémy est la voix de la raison, la tare rééquilibrant une balance souvent affolée.
Lorsque le père n'a plus d'autre choix que d'accepter la réalité des fréquentation de Fus – dangereuses, honteuses et surtout incompréhensibles – il ne saura lui opposer autre chose que la colère et le silence.
J'avais honte. Désormais on allait devoir vivre avec ça, c'était ce qui me gênait le plus. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on veuille, c'était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos. Et d'après ce que j'en avais compris, il y prenait plaisir. On était dans un sacré chantier. La moman pouvait être fière de moi.
Ce que les nouvelles orientations politiques de Fus révèlent est tout aussi dramatique : il représente la pointe de l'iceberg, visible par le père puisque dans la famille, une famille de gauche depuis des générations. Mais autour d'eux ces engagements ne choquent pratiquement pas. Plus. Des discours plus ou moins similaires sont tenus par des gens tout ce qu'il y a de plus respectables.
Le père est seul. Son cadet, tout à son amour pour son frère et dernier de la famille à pouvoir répondre aux espoirs maternels d'intégrer une grande école, ne semble pas être perturbé par les choix de Fus. Il prépare Sciences Po avec l'aide de Jérémy. Il traverse le nouveau monde de Fus en toute quiétude.
Sauf que l'inévitable finit par arriver. Et qu'il faut prendre partie d'une manière ou d'une autre.
A ce stade du récit, Ce qu'il faut de nuit a des airs de tragédie grecque : entre honte, culpabilité, colère, incompréhension, le père est obligé de se confronter aux actes d'un fils qu'il ne reconnaît plus. Pourtant, sur le banc des accusés se trouve bien Fus, son fils aîné.
Récit universel, celui de la relation entre un père et ses fils, Ce qu'il faut de nuit met le doigt sur les dysfonctionnements de notre société, sur les pulsions les plus extrêmes qu'Aujourd'hui semble faire naître. Mais il questionne également les capacités de transmission d'une génération à l'autre et les accidents de parcours, parfois inexplicables, qui remettent en question l'héritage de plusieurs ascendances.
Premier roman, première grande réussite !