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Les maisons de la sagesse-traduire : une nouvelle aventure

Auteur : Barbara Cassin

Auteur : Danièle Wozny

Un coup de coeur de Marion B.

La traduction en action au centre d’un projet stimulant pour une société hospitalière face à l’urgence de la crise migratoire

Maisons de la Sagesse-traduire…Que recouvre donc ce nom qui sonne mystérieusement à nos oreilles?

Il s’agit pour la philologue et philosophe Barbara Cassin, et ceux qui l’accompagnent dans cette aventure depuis 2017, de faire revivre l’esprit des Bayt al-hikma, ces maisons de la sagesse nées au IXème siècle dans l’empire arabo-musulman sous l’impulsion des califes abassides afin d’assouvir leur soif de savoir en même temps qu’asseoir leur pouvoir et prestige politique. La première maison, bâtie en 832 à Bagdad selon la volonté du calife al-Ma’mun, le fut -- si l’on en croit la légende -- après qu’il eut été visité en rêve par l’un des maîtres à penser de l’Antiquité grecque, le philosophe Socrate. Ce dernier aurait affirmé à al-Ma’mun la primauté de la raison sur la foi, la première étant la condition nécessaire de la révélation divine, et donc la compatibilité de la religion musulmane avec la pensée grecque. Philosophie, sciences naturelles, médecine ou astronomie furent traduites et transmises jusqu'en Europe mais également réinterprétées et la matière de nouvelles inventions. De nombreuses maisons de la sagesse naquirent par la suite qui légitimèrent et amplifièrent un «usage de la traduction comme outil d’invention » par les savants arabes ou arabisants de différents pays et confessions. Un âge d’or des sciences dont l’Al-Andalus, territoire de la « convivance » entre les peuples et les religions reste l’un des plus forts symboles, qui prend fin au XVème siècle.

Mais pourquoi aurions-nous besoin de maisons de la traduction aujourd'hui ?

Pour Barbara Cassin, une traduction contemporaine de ces maisons répondrait à la crise migratoire que nous connaissons actuellement en Europe. Situation épineuse, sujette aux divisions morales et politiques les plus virulentes, elle représente à ses yeux avant toute chose un drame humain insupportable qui exige une résolution des plus urgentes. Toujours selon elle, l’une des raisons principales de la défiance envers les étrangers est la barrière de la langue qui engendre fantasmes et peur. Partant de là, la philosophe a fait le choix de s’engager à sa mesure à partir de ce qu’elle connaît le mieux à savoir la traduction qu’elle conceptualise comme « un savoir-faire avec les différences », une pratique pour inventer une forme de vie en société désirable. Elle serait, par un travail en commun, capable de lever les incompréhensions réciproques, ces « intraduisibles » qui nous séparent, sans réduire les différences...comprises et adaptées d’une langue à l’autre par équivalence ou néologisme. Savoir qu’en arabe dialectal, le mot « boukra » que l’on traduirait par « demain » signifie le futur sans plus de précision est un exemple des difficultés quotidiennes du passage d’une langue à l’autre et de la communication entre des individus de cultures différentes. La traduction est ainsi un acte éminemment « politique parce que c’est une interaction qui donne prise sur ce qui est traduit, en même temps qu’elle contraint à prendre du recul et à se comprendre soi-même – comme une langue, une culture, une manière de vivre, une parmi d’autres, à protéger et à élargir : à poursuivre ». Je traduis, tu me traduis… La traduction a ce pouvoir de transformer des barbares réciproques en alter ego porteurs d’une histoire, d’une culture, de rêves et de désirs en partage.

La traduction est donc nécessaire pour créer une cohésion sociale entre allochtones et allophones mais à quoi ressembleraient ces maisons de la traduction?

Les Maisons de la Sagesse-traduire sont ces espaces consacrés à un dispositif « de lieux et d’actions » qui se déroulent en trois « temps » :

Le premier temps, celui de l’accueil, passe le plus souvent par les services de l'administration et se voit compliqué voire empêché par les contextes culturels différents des personnes en présence : primo-arrivants comme personnel de l'administration. Il serait facilité par la constitution d’un glossaire des mots de l’administration et de leurs différents contextes socio-culturels. Savoir d’où l’on parle pour mieux trouver un terrain d’entente : la philosophe nous montre dans de très belles pages combien des notions qui semblent aller de soi telles que le nom et le prénom ou encore la date de naissance recouvrent des réalités bien différentes que seule la traduction peut éclairer.

Le deuxième temps, celui de l’insertion, s’appuierait sur la création de banques culturelles, traduction de celles inventées au Mali et développées en Afrique de l’Ouest depuis vingt ans. Ces structures hybrides « ni vraiment banque[s], ni vraiment musée[s] » sont une « nouvelle forme muséale conjuguant patrimoine et développement ». Leur mission d’origine est de protéger les biens culturels de ces pays de la convoitise des trafiquants d’art en proposant aux population des micro-crédits garantis par le dépôt d’objets culturels et du récit qui les entoure, mis ensuite à la disposition de la communauté dans des espaces dédiés. Il s’agirait dans les Maisons de la Sagesse-traduire d’adapter ces structures et de proposer des micro-crédits afin de financer les projets professionnels des bénéficiaires avec pour contre-partie de laisser en dépôt un objet et le récit qui lui appartient à la communauté.

Le dernier temps, celui de la recherche et de la réflexion, consisterait en l’élaboration d’un dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes par une équipe « plurilingue et pluridisciplinaire », matérialisation d’une « lecture comparée des textes sacrés à partir des langues dans lesquels ils ont été écrits ». Sources de conflits passés et présents, les mots des religions comme tous les « mots écrits prêtent aux équivoques » et la philologue comme ceux qui l’accompagnent dans ce projet ont la certitude que faire la description et l’histoire de « leur(s)étymologie(s), [de] la multiplicité de leur sens, [de] la diversité de leurs usages, de leurs interprétations » est un moyen de rétablir le dialogue entre nous tous.

Fort d’expériences déjà menées à Aubervilliers et à Marseille, ce projet protéiforme étayé de multiples exemples convaincants, est une entreprise intellectuelle et humaine tout à fait remarquable qui donne à la fois matière à penser et matière pour agir et créer ensemble la société de demain : « un glossaire, une banque culturelle, un dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes, cela se fait en commun avec réciprocités intellectuelles et pratiques, ou cela ne se fait pas. » Il n’y plus qu’à...

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Résumé

Les maisons de la sagesse-Traduire sont un réseau de lieux et d'actions autour des langues et des cultures. Les auteures racontent leur fonctionnement et certains des projets qu'elles portent, comme les banques culturelles solidaires ou le dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes. Autant d'expériences où la traduction apparaît comme un geste politique au service du vivre ensemble. ©Electre 2024

« Les Maisons de la sagesse n'ont ni portes ni fenêtres. Elles sont un réseau de lieux et d'actions où circulent les langues, les cultures, les savoirs, les pratiques, les générations. La sagesse des Maisons de la sagesse est la sagesse des passages et des transmissions. L'hospitalité est, comme toujours, réciproque, entre des « hôtes » qui accueillent et des « hôtes » qui sont accueillis. Maisons de la sagesse-Traduire pour souligner que le premier exercice du savoir, du nôtre aussi, c'est de traduire, de séjourner entre. Savoir-faire avec les différences, n'est-ce pas cela même dont nous avons besoin, y compris politiquement, et à présent plus que jamais ? »

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Fiche Technique

Paru le : 21/04/2021

Thématique : Linguistique

Auteur(s) : Auteur : Barbara Cassin Auteur : Danièle Wozny

Éditeur(s) : Bayard

Collection(s) : Grand ouvert

Série(s) : Non précisé.

ISBN : 978-2-227-49857-0

EAN13 : 9782227498570

Reliure : Broché

Pages : 237

Hauteur: 21.0 cm / Largeur 14.0 cm


Épaisseur: 1.7 cm

Poids: 354 g