Un coup de coeur de Jérémy Gadras
Monstre polymorphe, créature aux symboles inépuisables, parfois grossier, dément, foutraque, écorcheur ou trônant sur un monde macabre, le Diable disparaît pourtant progressivement de ce registre de représentation pour prendre les traits d'un visage humain. Une métamorphose peu anodine et lourde de sens ; signe d’une sécularisation du Démon et du Mal ; avant de totalement s’effacer. Cette étrange évolution, ce glissement du représentable à l’irreprésentable, Daniel Arasse en relate l’histoire et les enjeux dans un court essai non moins érudit et savant. Comme nous l'indique l'historien de l'art Thomas Golsenne dans la préface de ce petit opuscule, cet objet d'étude, fruit d'une conférence prononcée en 1989, devait faire la matière d'un livre plus exhaustif sans la disparition prématurée de son auteur en 2003.
Analysant l'iconographie médiévale liée à la figure du diable – à savoir l'incarnation du Mal, fait monstre ou créature inhumaine tentatrice – Daniel Arasse montre les enjeux idéologiques, religieux et esthétiques que sous-tend un tel changement de figuration lorsqu'à partir du XVe siècle on admet que le diable puisse prendre possession de l'homme, ou que l'homme, lui-même devenu indépendant, puisse cacher un mal préjudiciable et contre nature. Pour son analyse, Daniel Arasse se base sur le passage au XIVe siècle d'un art de la memoria à un art de l'historia : "il ne s'agit plus de faire croire, par la mémoire, à ce qu'il faut croire mais de faire croire, par la persuasion et la vraisemblance de l'image, à la réalité de l'historia représentée."