Un coup de coeur de Anthony G.
Partant de ces observations très concrètes et du constat de la mécanisation du monde, Orwell met en question la notion de progrès. Et si celui-ci n’était qu’une illusion ? Perdons-nous en alimentation ce que nous gagnons en électricité ? Doit-on vraiment sacrifier nos intelligences et savoir-faire sur l’autel du confort ? Est-il acceptable que l’industrialisation transforme certains quartiers en « dédales de taudis et d’arrière-cuisines où des gens malades et vieillissants rampent et tournent en rond comme des cafards ? ». Autant de questions posées dès 1937 (date de parution de la première édition) et toujours d’actualité.
Ce côté visionnaire que l’on a souvent attribué à l’auteur de 1984, on le trouve également dans son analyse des rapports de classe. En s’attardant sur des éléments concrets tels les accents, les budgets hebdomadaires et les manières de table, celui-ci observe la réalité avec lucidité et prend de la distance vis-à-vis d’une certaine tendance au manichéisme de l’idéologie marxiste. Surtout, non sans disséquer ses propres contradictions et tiraillements, Orwell établit la thèse (aujourd’hui reprise par nombre de sociologues) de l'immuabilité de la classe. En dépit des évolutions de salaire, de ses sympathies voire de ses fantasmes, chacun appartient à sa classe d’origine et ne peut s’en extraire véritablement. Ainsi « toute opinion révolutionnaire tire une partie de sa force d’une conviction secrète que l’on ne peut rien changer »…
Avec Le quai de Wigan, George Orwell livre donc un modèle de journalisme narratif en même temps qu’une pensée politique on ne peut plus actuelle et visionnaire. Forcément brillant !