Un numéro consacré à Frida Kahlo qui se concentre sur sa vie à Paris et sur ses relations avec les surréalistes, en particulier André Breton. Avec une affiche reproduisant le tableau Racines, peint en 1943. ©Electre 2024

Ce que vit l'écrivain mexicain Carlos Fuentes

« Lorsque Frida Kahlo entra dans sa loge, au balcon, toutes ces splendeurs où se perdait le regard furent éclipsées. Le cliquetis de somptueux bijoux couvrit les sons de l'orchestre, mais quelque chose de plus que ce bruit nous força tous à lever les yeux et à découvrir l'apparition qui s'annonçait par un incroyable martèlement de rythmes métalliques avant de révéler celle que le bruit de ses joyaux mais aussi le magnétisme silencieux promettaient.

C'était l'entrée d'une déesse aztèque, peut-être Coatlicue, la déesse mère, drapée dans sa jupe de peau de serpent, exhibant ses mains lacérées et sanglantes comme d'autres femmes arborent une broche. Ou bien était-ce Tlazolteotl, la déesse de l'impureté et de la pureté tout à la fois, au panthéon indien, le vautour femelle qui doit se repaître de l'ordure pour purifier le monde. Mais peut-être étions-nous en train de contempler la Terre-Mère espagnole, la Dame d'Elche, enracinée dans la terre par son lourd casque de pierre, ses boucles d'oreilles en roues de charrette, ses pectoraux dévorant ses seins, ses bagues transformant ses mains en serres d'oiseau. [...]

Frida Kahlo évoquait plutôt une Cléopâtre brisée, dissimulant son corps torturé, sa jambe recroquevillée, son pied cassé et ses corsets orthopédiques sous les splendides atours de ces paysannes mexicaines.

Les dentelles et les rubans, les jupes et les jupons bruissants, les nattes et les coiffures lunaires faisant éclore son visage comme les ailes d'un papillon noir : Frida Kahlo nous montrant à tous que la souffrance ne pouvait altérer ni sa maladie épuiser la pluralité de son être. [...]

À la voir là, dans sa loge d'opéra, lorsque le cliquetis eut cessé, que les soies et les bracelets furent au repos et que les lois de la pesanteur eurent imposé le silence à cette majestueuse apparition, lorsque les éclats de la procession se furent éteints et que le halo de cérémonie aztèque et méditerranéen [...] qui enveloppait Frida se fut dissipé, on ne pouvait que penser : le corps est le temple de l'âme. Le visage est le temple de ce corps.

Et lorsque le corps se brise, l'âme n'a d'autre sanctuaire que le visage.