Un coup de coeur de Isabelle P.
La vie de la mère de Didier Eribon est celle d’une femme comme beaucoup d’autres de sa génération de l’avant-guerre, structurée, cadrée, corsetée, confinée, contenue dans un monde social dominé par les hommes : abandonnée par son père puis par sa mère, mariée à 20 ans à un homme qu’elle n’aimera pas mais qu’elle ne quittera jamais, mère très jeune d’une famille nombreuse, femme de ménage puis ouvrière. Son décès survenu en 2017 suit, quant à lui, la destinée des hommes et des femmes âgé.e.s de notre époque : elle meurt ainsi peu de temps après son entrée dans un Ehpad.
En retraçant le parcours de sa mère et surtout son entrée en maison de retraite, Didier Eribon explore cette ultime étape qu’est la vieillesse et la discrimination qu’elle engendre. Comme Simone de Beauvoir avant lui dans son grand essai qu’est La Vieillesse, Didier Eribon met à son tour en lumière une population véritablement mise au ban de la société, écartée du champ politique, social et même affectif. Le grand sociologue de la discrimination découvre ainsi une autre forme d’exclusion celle que notre société impose à ses aînés.
Alliant une pudeur qui ne transige jamais avec la sincérité, Didier Eribon poursuit cette auto-analyse qu’il avait débutée une dizaine d'années plus tôt. Pour mieux en saisir toute l’âpre réalité, il convoque la plume des romanciers comme John Coetzee, Maryse Condé, Philippe Roth, Yasushi Inoué, Annie Ernaux ou encore Samuel Beckett qui expriment avec une rare puissance la gravité de ces derniers moments qui transforment toute vie en destin. De cette période douloureuse enchevêtrée de sentiments contraires, Didier Eribon à la fois nous livre un récit d’une grande humanité et redonne une voix critique et audible à ceux que l’on n’écoute plus.