Lecture philosophique de Jules Verne qui étudie le lien entre voyage et formation dans son oeuvre. Ce que J. Verne met en scène, c'est le voyage au plein sens du mot, du déplacement physique à l'aventure et de l'apprentissage à la quête. Parcourir le globe, lutter contre les monstres, explorer et maîtriser le monde, se trouver soi-même, progresser, régresser, tels sont les thèmes qu'il aborde. ©Electre 2024

Ce livre n'est pas une étude d'histoire littéraire, ni une biographie savante mais une lecture philosophique qui tente de prendre au sérieux le lien entre voyage et formation. Nous voudrions montrer que dans les Voyages extraordinaires se nouent trois thèmes: formation, modernité et problème. Que signifie se former à l'âge de la modernité triomphante, au siècle prométhéen du progrès technologique?

Nous avons appris, tout au long du vingtième siècle, à dissocier le rationnel du raisonnable et à distinguer science et conscience. C'est déjà le cas chez Verne! Il met en scène des héros qui souffrent dans leur chair des malheurs du temps: des luttes nationalistes, des attentats anarchistes, des dégâts du progrès ou encore du règne sans partage de l'argent. D'autres éprouvent simplement la difficulté de grandir, de dépasser l'infantilisme. Ces ambiguïtés de la modernité, Verne n'en fait pas l'objet d'une critique sociale ou politique. Il campe plutôt des personnages qui s'instruisent par la souffrance, comme disait le poète Eschyle. D'où cette catégorie d'épreuve qui traduit une expérience intérieure, un pathos irréductible au logos rationnel du problème et qui touche à l'initiation.

Combien de romanciers peuvent se vanter d'avoir créé une mythologie nouvelle? Nemo, Michel Strogoff, Cyrus Smith, Robur le conquérant, s'avèrent désormais des figures culturelles. Le génie de Jules Verne excelle également à mettre en scène des microcosmes qui concentrent des puissances de rêveries. N'est-ce pas le voeu secret de la modernité de faire du monde la coquille de l'homme? Et pourtant Verne s'enthousiasme aussi pour ces grands départs brumeux, qui sentent leur naufrage. A qui ne voudrait qu'un monde bien quadrillé de parallèles et de méridiens sans histoire et ne voyager qu'autour de sa chambre, il oppose la force perturbatrice des volcans qui ne cessent de le fasciner, surtout quand ils font exploser les coquilles.

Verne travaille le même objet qu'Aristote en sa Physique: il met en scène le changement et la formation et dévoile du même coup les ambiguïtés de notre modernité.