Un coup de coeur de Mollat
L'un d'entre eux, le père jésuite Bernard Sesbouë, a décidé de faire paraître six mois plus tard cet ouvrage à peine plus grand qu'un livre de poche dans lequel il propose une "mise au point" des thèses soulevées par Frédéric Lenoir. Loin de toute polémique, son but est clair : un sujet aussi épineux, pour être débattu honnêtement, doit aussi laisser la parole au théologien. Son livre, écrit avec la même clarté que celui de son "partenaire", doit être lu en complément pour une perception large et nuancée du débat qui, rappelons-le, n'a cessé d'interroger les théologiens depuis deux mille ans.
Que nous dit Frédéric Lenoir dans son livre? Que Jésus est devenu Dieu. Qu'il a d'abord été " homme comme les autres hommes ", avant de commencer une prédication qui durera trois ans, abondamment relatée dans les évangiles.
Ceux-ci nous présentent certes un être extraordinaire, un Christ philosophe, humaniste, qui se dit " fils de l'Homme ", mais aucun disciple ne l'apparente clairement à Dieu. Le doute plane sur la véritable identité de Jésus : est-il un prophète, le messie tant attendu ou le fils de Dieu?
Il faudra attendre le IVème siècle pour que l'Église reconnaisse officiellement la divinité de Jésus, sous la pression des empereurs romains. Une conception du Christ qui aura mis quatre siècle à se construire pour ensuite devenir l'un des dogmes fondamentaux de la religion chrétienne.
Bernard Sesbouë reconnaît volontiers le sérieux du travail de Frédéric Lenoir. Mais il parle d'une autre voix, celle du théologien. Il reproche essentiellement au philosophe d'évacuer de sa thèse le mystère de l'Incarnation et toute la complexité et la richesse théologique qu'une telle question soulève au profit d'un confort intellectuel trop simpliste.
Pour montrer cela, le théologien parle en historien et se place ainsi sur le même terrain que son interlocuteur. Il met en évidence ce qui est selon lui une erreur méthodologique de l'utilisation des sources : Frédéric Lenoir cite très peu l'évangile de Jean sous prétexte qu'il est plus tardif (il date du IIème siècle). C'est pourtant dans celui-ci que l'idée de l'Incarnation, du " Verbe fait chair ", est très présente. Pour le théologien, cet évangile a autant sa place dans le canon biblique que les autres et sa pertinence historique et théologique ne devrait pas être sous-estimée.
L'incarnation du Christ (et donc l'idée que Dieu préexiste à Jésus) est un élément essentiel pour tout croyant, et sur ce mystère se fondent les autres mystères, ceux de la Trinité et de la Résurrection. Nier l'identité filiale de Jésus par rapport au Dieu unique revient à nier ce qui fait la spécificité du christianisme. Cette libre réponse a le grand mérite d'enrichir le débat en y intégrant une dimension théologique qui semblait faire défaut au livre Frédéric Lenoir.