Un coup de coeur de Mollat
Profitant de cette « vague », certains éditeurs ont procédé à des rééditions. Nombreux sont les exemples, notamment les éditions Stock qui ont remis enfin à l'ordre du jour Babitt de Sinclair Lewis, depuis longtemps épuisé, que les lecteurs réclamaient régulièrement à leurs libraires ! La jeune et indépendante maison d'édition canadienne Lux a fait le choix de rééditer l'excellent titre de Vladimir Pozner les Etats-Désunis.
Ce livre fit sensation lors de sa première parution en 1938. En Europe, à l'aube de la seconde guerre mondiale, on perçut dès lors les États-Unis d'une toute autre manière.
L'auteur français, né de parents russes, aimait profondément les Américains. Ses chroniques littéraires constituent un véritable document d'Histoire. L'auteur décrit avec beaucoup de tendresse les hommes et les femmes victimes de la crise dans une Amérique puritaine.
Le montage de son livre est extrêmement moderne. Il nous fait assister à des procès (une femme demandant la garde de ses enfants), à des entretiens (notamment avec l'écrivain John Dos Passos), à des mouvements sociaux, à la destruction d'entreprises, à une longue visite dans Harlem - ce ghetto craint par les blancs où la population noire (qui représente un septième de la population américaine) se voit encore plus victime de la crise, où un homme sur quatre est sans emploi.
Tous ces documents assemblés tels un collage donnent un reportage très rythmé.
Ce « livre patchwork » n'est cependant pas décousu. Il ne perd jamais de vue son objet : les conséquences du système capitaliste en crise (l'étendue de la pauvreté, la concentration des richesses...) Ce regard et cette capacité d'une grande acuité à décrire les scènes confirme son talent de reporter littéraire et de scénariste.
Auteur discret, très proche de Gorki, Vladimir Pozner (1905-1992) a été tout au long de sa vie un grand voyageur. Son adolescence est nourrie de voyages entre la Russie et la France. Évoluant dans le milieu littéraire parisien, il fera découvrir toute une génération d'auteurs russes, dont il traduira de nombreux textes… En 1936, exclu du Parti Communiste, il part pour les États-Unis. En 1938, il y publie les États-Désunis. En 1940, c'est l'exode et comme de nombreux juifs il s'exilera aux États-Unis… Il meurt en France en 1992, laissant derrière lui de nombreux romans, manuscrits, reportages et scénarios. Antifasciste notoire, communiste, engagé contre la guerre d'Algérie, il n'eut de cesse d'être inquiété. C'est cependant un auteur qui resta trop méconnu. On peut alors remercier l'éditeur d'avoir enrichi sa collection Mémoires des Amériques du texte de Pozner, indispensable à la compréhension de ce pays « où tout va très vite ». Notons que cette édition comporte un entretien avec Noam Chomsky (qui a bien connu Pozner ) au cours duquel il tente de nous décrire l'espoir qui repose sur Obama.