Un coup de coeur de Mollat
« Grande gueule » c'est Matt, autoproclamé grande gueule parce qu'extraverti, ne pouvant s'empêcher d'épater – surtout en paroles – son entourage. Brillant élève, populaire et sympathique, c'est un jeune homme sans problèmes apparents, bien vu, tant par ses camarades que par ses professeurs.
Comment ces deux-là, qu'apparemment tout sépare, vont-ils être réunis pour ce que l'on appellerait au cinéma une comédie dramatique ; même si celle-ci tient en partie de la tragédie ?
Nous sommes en Amérique, peu de temps après les évènements sanglants qui ont touché entre autres le lycée de Columbine, désormais célèbre pour la tuerie qu'y a perpétré un de ses élèves. C'est tout un pays sous le choc. La peur s'installe. Dans son lycée tranquille de province, Matt est accusé d'avoir tenu des propos « dangereux » à la cantine devant témoins. Police, interrogatoire, enquête, exclusion.
C'est ici qu'éclate le talent de Joyce Carol Oates. Elle démonte le mécanisme des 'légendes urbaines', de la rumeur. Et si, une fois encore, le fait divers l'inspire, c'est non seulement pour mieux stigmatiser le déclin spirituel de la société américaine mais aussi pour porter le regard le plus juste, le plus pertinent, le plus attentif qui soit sur l'adolescent et son rapport aux autres, son rapport au monde.
Qui viendra au secours de Matt ?
Ursula, bien sûr ! Nulle et Grande Gueule réunis dans l'espoir qu'il y a encore quelque chose à faire dans ce monde.
Nulle et grande gueule, c'est aussi une construction intelligente, vive ; des voix croisées, une formidable galerie de personnages, un style enfin, un ton qu'elle a su rendre proche des adolescents entre exigence, fragilité, doute et révolte.
Pour la première fois peut-être, Joyce Carol Oates laisse entendre la voix de l'espoir. S'il s'agit ici d'une tragédie, éternel combat opposant le faible au puissant, l'épilogue est lui tout de douceur.
C'est un nouveau monde qui commence… du moins pour Nulle et Grande Gueule.