Un coup de coeur de Mollat
Le mur est de ces livres surprenants qui, sous couvert d'un album dit pour les enfants - ou qui du moins en a l'apparence - vous entraîne bien plus loin que vous ne l'auriez imaginé. Les amateurs du célèbre illustrateur tchèque reconnaîtront immédiatement ses illustrations minutieuses, essentiellement en noir et blanc et tachées de rouge, faites de points et de traits serrés jusqu'à faire surgir les volumes. Les autres découvriront dans cet album l'essence et la définition même de l'art d'illustrer : rendre clair.
C'est l'histoire de sa jeunesse que Peter Sis a choisi de mettre en lumière afin de montrer à ses descendants que Prague n'a pas toujours été cette ville rêvée où déambulent les touristes aujourd'hui. A travers son enfance, c'est aussi bien sûr un formidable moyen pou lui d'évoquer l'histoire de l'ex-Tchécoslovaquie sous le joug communiste.
Sa vie est celle d'un petit garçon qui naît un crayon à la main, décrivant sans émotion apparente son quotidien et celui des siens : un quotidien fait de crainte, de répression, de violence, de silence, d'enfermement derrière le rideau de fer.
La grande Histoire se dessine derrière la petite, celle d'un enfant obéissant, qui dessine à la maison ce qu'il veut, mais à l'école ce qu'on lui demande de dessiner.
Obéir devient d'autant plus difficile pour le jeune Peter que les années 60 vont amener leur cortège de nouveautés qui commencent à filtrer depuis l'Ouest tant désiré : sa passion du dessin n'a alors d'égale que celle qu'il se découvre pour la musique. Il entend pour la première fois - sur les ondes brouillées - Elvis, les Beatles, les Stones qu'il enregistre clandestinement, le rock étant encore contraire aux principes de l'art socialiste. Le Printemps de Prague n'est pas loin : c'est une explosion de couleurs, une libération pour tous et pour Peter le droit de voyager -l'Angleterre, enfin !...- et surtout le droit de créer librement.
Le rêve prend fin en août 68 avec, peu après le retour d'Angleterre de Peter Sis, l'invasion des chars soviétiques représentée par une évocation du célèbre Cri de Munch : le retour de l'horreur... Tout semble à recommencer : contourner la censure et faire accepter ses oeuvres devient la grande préoccupation du jeune artiste qui entre alors à l'Académie des Arts Appliqués de Prague. Ne reste qu'à espérer, encore, à résister, toujours.
S'il est un extraordinaire document sur l'histoire de la Tchécoslovaquie, émaillé des carnets tenus par Peter Sis à l'époque, sorte de journal témoin de son temps, le mur est avant tout un sublime travail d'artiste, un hommage aussi à la création comme dernier refuge d'un homme face à l'oppression, un rêve de liberté préservé au plus intime de l'artiste. Cet album émeut, envoûte, surprend dans sa description des pages souvent noires de cette Histoire récente qu'il est nécessaire de faire connaître aux jeunes générations.