La théologie latino-américaine de la libération fut perçue par le CEEL comme une menace schismatique. C'est ce qui explique l'extrême vigueur des réfutations et condamnations dont elle fut l'objet de la part de ce cercle dans un contexte général de lutte implacable des autorités romaines contre cette doctrine. Le discours du CEEL réfléchit jusqu'à la caricature celui de l'Eglise catholique. ©Electre 2024

La perception de la théologie latino-américaine de la libération en République fédérale d'Allemagne

L'exemple du cercle d'études « Église et libération » (1973-1978)

L'objet de la présente étude était de mettre au jour certains aspects de la perception de la théologie latino-américaine de la libération en République fédérale d'Allemagne et ce, à travers le cercle d'études « Église et libération » (CEEL). À cet effet, il a fallu analyser les textes, mais lire également entre les lignes et dans les marges du discours dominant au sein de ce cercle de réflexion.

La théologie de la libération remet en question un européocentrisme prégnant dans l'exégèse et la théologie chrétiennes. Elle entend sortir d'une théologie occidentale trop abstraite, instrumentale, coupée de la langue vivante. La dogmatique, telle qu'elle est diffusée dans les facultés de théologie occidentales, s'est transformée en un enseignement objectiviste et desséché. En tant que théologie de la base, la théologie de la libération s'élabore sur le terrain, au sein des communautés ecclésiales. Elle s'attache à placer le sujet latino-américain, qui est plongé dans des expériences diverses, au coeur de la conscience théologique. Faire entrer la perspective du sujet dans la dogmatique revient à dire que l'homme, avec l'histoire de sa vie et de ses expériences religieuses propres, avec les vicissitudes de l'Histoire, en devient l'objet majeur.

Dès lors, la théologie latino-américaine de la libération est perçue par le CEEL comme une menace schismatique. C'est ce qui explique l'extrême vigueur des réfutations et condamnations dont elle a fait l'objet de la part de ce cercle d'études allemand. Cette virulence doit être replacée dans le contexte plus général de la lutte implacable menée par les autorités romaines contre la théologie latino-américaine de la libération. Le discours du CEEL réfléchit, parfois jusqu'à la caricature, la figure d'une Église catholique romaine qui, malgré l'aggiornamento du concile Vatican II, est restée hiérarchique, autoritaire, parlant le langage de l'obligation, voire de l'interdit et craignant de manière quasi obsessionnelle toute approche s'écartant de sa vérité.