Un coup de coeur de Mollat
Car avant de s'être muré dans un profond mutisme, cet homme a vécu son engagement jusqu'à l'extrême. Exclu de l'UEC (Union des Etudiants Communiste) car pro-chinois et très critique par rapport au "révisionnisme" du PCF, il fonde en 1966 L'UJC (l'Union des Jeunesses Communistes marxistes-léninistes). Finalement, en 1968, il finit par rejoindre la Gauche prolétarienne.
Pour revenir sur l'idée de "l'établissement", ce mouvement a été voté en 1967 au sein d'un courant maoïste emmené par Linhart, courant dont le slogan était : "Il faut comprendre la réalité pour la transformer". A partir de là, des centaines de militants intellectuels désirant comprendre la réalité vécue par les ouvriers, rejoignent les usines et viennent gonfler la masse ouvrière, renforçant les revendications de l'époque.
Beaucoup d'étudiants vont alors découvrir une vérité qu'ils ne soupçonnaient même pas, loin de leurs attaches culturelles, et ce mouvement va justement permettre de rompre les barrières sociales et de créer une solidarité jamais vue auparavant, amenant à une remise en cause de l'ordre social.
L'établi, c'est celui qui part travailler dans les usines. Robert Linhart entre comme ouvrier spécialisé dans l'usine Citroën de la porte de Choisy à Paris en 1967. Il sera en licencié en 1969.
Dans ce témoignage intense, Robert Linhart raconte son quotidien à l'usine, le bruit entêtant des machines, le travail à la chaîne, les conditions précaires des ouvriers qu'ils soient français ou immigrés.
Selon lui, le danger réside dans l'habitude ; l'engourdissement progressif qui guette, accapare jusqu'à l'acceptation du néant, d'une vie en état second permanent. Des journées se répétant à l'infini, où les ouvriers, le regard vide comptent les heures les séparant de la fin, où chaque micro-détail prend une place démesurée dans une journée dénuée de sens.
De temps en temps, des gens sont pris d'un accès de folie. Ils cassent la chaîne, rompent l'équilibre précaire du mouvement des machines et saccagent tout. "La frayeur du grain de sable".
Il évoque l'omniprésence de la peur diffusée par l'usine à différents degrés : la peur liée aux méthodes de surveillance et de répression, grossières et méprisantes, la peur de perdre pied face aux rouages de la machine, et enfin la peur face à l'idée de l'accident, voir de la mort.
La machine exerce son pouvoir sur les ouvriers qui deviennent les sujets : "La dictature des possédants s'exerce ici d'abord par la toute puissance des objets".
A travers ce texte sociologique, fort et poétique, Linhart nous livre des clefs pour la compréhension du monde ouvrier et bien qu'appartenant à une autre décennie, le ton et le fond sont étrangement d'actualité.
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