"De nos blessures un royaume" de Gaëlle Josse est le récit d'un voyage initiatique et profondément personnel. Le lecteur suit Agnès, danseuse et chorégraphe, qui, après un spectacle et la perte de son compagnon un an plus tôt, sent le poids de ses blessures devenir insoutenable. Elle décide alors d'entreprendre un périple à travers l'Europe, destination Zagreb, mue par le besoin impérieux de se remettre en mouvement pour ne pas s'effondrer.
Au cœur de cette quête se trouve un lieu réel et fascinant : le Musée des relations rompues à Zagreb. Créé par un couple d'artistes séparés, ce musée invite chacun à déposer un objet symbolisant une histoire d'amour terminée, une trace matérielle d'une relation qui n'est plus. Agnès va s'y rendre avec le livre fétiche de son compagnon disparu. Cet objet, devenu trop lourd à porter, représente à la fois un fardeau et une relique précieuse qu'elle souhaite protéger. Le livre devient ainsi un personnage à part entière du roman, et des extraits de ce "livre dans le livre" viennent s'intercaler dans le récit d'Agnès, tissant un dialogue entre les époques et les émotions.
Le roman se déploie à travers plusieurs voix. Le journal de bord d'Agnès permet de suivre ses émotions et ses sensations au fil de son voyage. Le corps, en tant que véhicule des émotions, des fragilités et des énergies, est particulièrement mis en lumière, reflétant l'identité de danseuse du personnage. Parallèlement, Gaëlle Josse invente l'auteur du livre que transporte Agnès, un personnage qui prend peu à peu une vie propre. Cet "auteur", une figure paternelle aimante mais fragile, écrit des lettres à sa fille handicapée, des lettres qu'elle ne lira jamais, mais qui décrivent des jardins et la beauté de la nature, son seul refuge. Ces deux histoires d'amour – celle d'Agnès et de son compagnon, et celle de l'auteur et de sa fille – se répondent, créant des échos thématiques puissants.
Gaëlle Josse explore la capacité de la littérature à panser les blessures. Si elle ne prétend pas pouvoir les résoudre, elle affirme son pouvoir d'aider à les identifier, à poser des mots sur des émotions confuses ou inexprimées. La reconnaissance de nos propres sentiments à travers les mots d'un auteur est un "petit miracle" qui, selon elle, constitue le premier pas vers la compréhension et, peut-être, vers la capacité à vivre avec ou à dépasser nos douleurs. Le titre, De nos blessures un royaume, extrait d'une phrase du livre, est une métaphore puissante. Il suggère la possibilité de ne pas se laisser enfermer par la douleur, mais de transformer nos épreuves en un espace de construction, un "royaume" intérieur où la vie peut reprendre ses droits.