Dans une exploration rigoureuse et engagée, Gérard Noiriel, historien de renom, nous plonge au cœur des débats qui animent la société française autour de la notion de "peuple". Son livre, Le Peuple français, histoire et polémiques, se veut une réponse argumentée et historique aux discours populistes et réactionnaires qui prolifèrent. Contrairement à un simple essai, l'ouvrage articule une analyse scientifique pointue avec une intervention directe dans le débat public, s'appuyant sur des chroniques de France Culture pour aborder des thèmes clés.
Le premier volet de la discussion s'articule autour des discours méprisants sur les classes populaires, souvent désignées comme un "mauvais peuple" à l'opposé du "bon peuple", obéissant et tranquille. Gérard Noiriel déconstruit cette rhétorique en la réinscrivant dans une longue histoire, depuis les élites aristocratiques qui excluaient le peuple de la nation, jusqu'aux figures politiques contemporaines qui stigmatisent les grévistes ou les militants. Il rappelle que des avancées sociales majeures, comme la Sécurité sociale, sont le fruit des luttes populaires et non de la générosité des élites.
L'historien aborde ensuite la question de l'ensauvagement et de la violence, un thème omniprésent dans le débat public. Il s'appuie sur des données historiques pour contredire l'idée d'une société plus dangereuse qu'auparavant. Gérard Noiriel soutient que, malgré les craintes actuelles, la France connaît une pacification sur le long terme, notamment en raison de l'absence de guerre majeure sur son sol depuis des décennies. Il met en garde contre l'usage abusif du mot "guerre" par les politiques pour qualifier des phénomènes comme le terrorisme ou la pandémie, ce qui, selon lui, affaiblit notre lucidité et notre compréhension des enjeux.
La conversation se poursuit sur le thème de l'immigration et les "risques" que court l'historien qui choisit de rappeler les faits face à un discours public souvent déconnecté de la réalité. L'auteur souligne que le taux d'étrangers en France en 1930 était similaire à celui d'aujourd'hui et que le principe du "nous contre eux" est une constante historique, où "eux" peut désigner les juifs, les noirs ou les musulmans selon les époques. Il fait valoir que la recherche scientifique sur ces questions est unanime et que l'évacuation de ce savoir est symptomatique de la crise démocratique actuelle.
Enfin, Gérard Noiriel évoque le rôle de l'historien face aux contradictions des mouvements sociaux. Il défend une approche non apologétique, qui consiste à analyser les failles et les limites des mobilisations, qu'elles soient passées (comme le mouvement ouvrier) ou actuelles (mouvements féministes ou décoloniaux). Loin d'être un acte de trahison, cette critique scientifique, selon lui, sert les luttes en les rendant plus lucides et plus efficaces. L'entretien se conclut sur une note d'espoir, où l'historien, tout en reconnaissant les phases de recul, rappelle que le progrès est un combat de longue haleine et que chaque génération apporte sa part d'innovation.