Nicolas Patin, maître de conférence en histoire contemporaine, et Roxane Chilà, maître de conférence en histoire médiévale, se retrouvent pour un "gameplay commenté" du jeu "The Witcher III". Ils utilisent ce jeu comme un support pour explorer le médiévalisme, qu'ils définissent comme les représentations et discours sur le Moyen Âge, élaborés à partir du XIXe siècle, notamment sous l'influence du romantisme. Ces représentations, souvent déformées, servent de support à l'évasion et à la nostalgie.
Les intervenants analysent plusieurs aspects de l'univers de "The Witcher", un jeu de "dark fantasy". Ils remettent en question l'image d'un Moyen Âge sale, sombre et violent. Roxane Chilà souligne que les destructions et la crasse sont des clichés anachroniques, plus proches des conflits des époques modernes (comme la guerre de Trente Ans) que des réalités médiévales. Elle insiste sur le fait que les gens se lavaient et que l'hygiène existait, contrairement aux clichés véhiculés par de nombreuses fictions. L'image d'une époque de chaos est une invention des premiers humanistes du XIVe et XVe siècles, qui ont dénigré leurs prédécesseurs pour se valoriser.
La discussion aborde aussi l'aspect économique et social de l'époque, en se baladant dans la ville de Novigrad. Les auteurs notent la représentation plus réaliste d'une société urbaine dynamique, avec son commerce et ses foires, fruit d'une croissance économique réelle à partir du XIIe siècle, malgré la présence de nombreux anachronismes architecturaux ou stylistiques.
Un autre point clé de l'analyse est la question de la magie et de la religion. Bien que la croyance au surnaturel ait été très présente dans l'imaginaire médiéval, les persécutions religieuses du jeu, telles que les bûchers de livres, sont davantage des projections du XVIe et XVIIe siècles que de la période médiévale proprement dite. L'Inquisition médiévale est une juridiction impopulaire, mais ses pratiques sont souvent confondues avec celles des époques ultérieures.
Enfin, les intervenants évoquent le succès des Vikings dans le médiévalisme contemporain. Ils l'attribuent à l'influence culturelle anglo-saxonne, notamment via Hollywood, plutôt qu'à une popularité historique. L'image viriliste et nationaliste des Vikings est une réappropriation moderne. Néanmoins, l'histoire médiévale reste un champ de récits épiques et d'héritages institutionnels (villes, universités, capitalisme) qui continuent de façonner notre monde.