Yannick Le Marec - Eugène Atget : la photographie des hommes libres

Le travail de Yannick Le Marec sur Eugène Atget déconstruit l'image classique du photographe, souvent réduit à un "précurseur de la photographie documentaire". En se penchant sur un album méconnu, "Zonier", il révèle un engagement social et politique insoupçonné, largement négligé par l'histoire de l'art. Loin des rues de Paris et des jardins, cet album met en lumière les habitants de "la Zone", une frange périurbaine précaire.

Le Marec a été particulièrement ému par la découverte de l'album original, entièrement réalisé de la main d'Atget, qui, de son vivant, s'est battu contre la classification topographique de ses œuvres, qui en déstructurait le sens. "Zonier" offre ainsi un aperçu unique de la mise en scène et du choix des images par le photographe lui-même. Cet arrangement, s'apparentant à une narration théâtrale, révèle les talents de metteur en scène d'Atget, qui se considérait d'abord comme un artiste de théâtre, et non comme un photographe.

L'étude des abonnements d'Atget, en particulier à des journaux comme "La Bataille syndicaliste" et "La Guerre sociale", a été une révélation. Elle a permis à l'auteur de relier les images des habitants de la Zone à une intention politique forte. Contrairement à ses contemporains qui utilisaient la photographie pour dénoncer l'insalubrité ou la dangerosité des habitants, Atget les filme avec dignité, les montrant comme des travailleurs, des pères de famille. Les photographies d'Atget sont un "éloge de la lenteur" et de la "liberté dans le travail", en opposition directe avec le taylorisme qui se développait à l'époque. Son travail est une "photographie des hommes libres" qui résistent à la modernité aliénante et s'inscrit dans un mouvement ouvrier qui croyait en la transformation sociale.