Un coup de coeur de Mollat
Depuis les événements du 11 septembre 2001, tellement de choses ont été dites, écrites et interprétées sur l'Islam dans notre société et dans les relations entre l'Occident et le monde musulman que l'on peut facilement s'égarer dans des raccourcis ou des amalgames trompeurs. Il en devient parfois même difficile de considérer la question autrement qu'à travers les gros titres de journaux, ou simplement de donner un sens précis à des notions telles qu'intégrisme, fondamentalisme, islamisme, fanatisme...
C'est là l'immense service que nous rend Abdelwahab Meddeb dans ses Contre-prêches : en 500 pages et 115 chroniques, il fait voler en éclat bon nombre de préjugés tenaces et d'idées reçues que nous pouvons avoir sur le monde musulman. Il nous invite à réfléchir sur l'Islam de manière sereine et intelligente, loin de toute idéologie et en s'appuyant minutieusement sur de nombreuses sources ( versets du Coran, maîtres soufistes, théologiens, philosophes, artistes... ). Il nous aide ainsi à mieux comprendre les véritables enjeux actuels de l'Islam, mais aussi de ses dérives et celles de l'Occident.
Ces chroniques sont des commentaires, des réactions plus ou moins engagées sur des sujets polémiques ou marquants de l'actualité en rapport avec l'Islam ( le port du voile, les attentats du 11 septembre 2001, la guerre en Irak, ... ). Il nous fait également part de réflexions plus générales sur la religion en elle-même, ses pratiques, son histoire ou sa spiritualité. L'auteur va même jusqu'à rescussiter des débats datant des premiers siècles de l'Islam, comme par exemple celui sur la thèse du Coran créé ou incréé.
Le résultat est impressionant. Qui mieux que A. Meddeb, à la fois poète et universitaire, autant connaisseur du monde arabe qu'occidental, pouvait se faire le critique et l'exegète de l'Islam de maniére aussi pertinente? Ses Contre-prêches sont brillantes, les unes autant que les autres : ses argumentations sont truffées de références historiques, artistiques ou théologiques, et surtout, on appréciera cet art précieux de la nuance, indispensable lorsque l'on traite un sujet aussi complexe et subtil, dont use prudemment A. Meddeb, qui, de la manière la plus sereine, arbitre les débats les plus polémiques sur l'Islam.
Comme on le découvre au fil de la lecture, ces réflexions en apparence isolées s'articulent autour d'une pensée plus globale qui, depuis la Maladie de l'Islam, n'a pas changé de cap. Selon l'auteur, les tensions qui existent entre le monde occidental et le monde musulman révèlent une crise plus profonde, celle d'un Islam malade, tiraillé par des tentations fondamentalistes. Cet Islam fébrile donne à voir l'opposé de ce qu'il est essentiellement, c'est à dire une religion faite pour célébrer la vie. L'integrisme, que A. Meddeb combat farouchement, n'est-il alors qu'un malentendu sur les textes? En tout cas, les divergences d' interpretation sur le Coran sont encore et toujours objets de débats. C' est notament le cas avec le très épineux « Verset de l'Epée » qui sert encore pour les integristes de justification à la Guerre Sainte, alors que selon l'interprétation traditionnelle du Coran, ce verset devrait être aboli par un autre verset, moins connu, dit « de la Tolerance ».
Ne pas répondre au fanatisme par le fanatisme, voilà le message que fait passer clairement A. Meddeb. A ce sujet, il n' hésite pas à condamner la réaction du gouvernement Bush aux lendemains du 11 septembre, qui, partant en guerre comme on part en croisade, pensait pouvoir éradiquer le terrorisme par la guerre.
D'où la nécessité de toujours revenir aux sources : au Coran bien sûr, mais aussi aux grands théologiens de l'Islam, aux soufistes, aux philosophes, aux artistes qui, au cours des nombreuses autres crises que le monde musulman a pu connaître, ont su montrer que l'Islam était capable de s'adapter aux mutations de son époque.