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100ème prix Goncourt, une surprise sans surprise.

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Publié le 21/10/2003
Jacques-Pierre Amette se voit décerner le Prix Goncourt par un jury farceur qui a pris le monde littéraire de court en annonçant son vote avec 12 jours d'avance.
La rumeur. Il est une chose statistiquement certaine au sujet des prix Goncourt : Le favori d'octobre ne l'emporte jamais. On attendait donc, en toute logique, Alice Ferney et son Dans la Guerre , aux éditions Actes Sud. C'eût été le Goncourt du centenaire idéal : Un éditeur décentralisé, Actes Sud, qui avait fait grand bruit l'an passé en s'élevant contre la mainmise des grands éditeurs sur les prix et leurs jurés ; un auteur à la fois lisible et confidentiel qui aurait réconcilié littérature et grand public et enfin une femme, genre fort peu couronné au Goncourt puisqu'elles ne sont que neuf à figurer au palmarès. La loi des chiffres a parlé : ce sera Jacques-Pierre Amette et La Maîtresse de Brecht publié chez Albin Michel, un des éditeurs fétiches du prix Goncourt.

Nous ne commenterons pas ici la pertinence du choix des 9 jurés mais seulement la manière dont fut menée le vote et sa proclamation. Ce 21 octobre devait être le jour ou se voyait annoncée la liste du dernier carré de tête, avant l'annonce final du 3 novembre. Une presse clairsemée s'avançait donc vers Drouant, l'éternelle cantine du plus célèbre des prix littéraires français, et se voyait annoncer non pas la liste mais bien le vainqueur lui même, le fort discret Jacques-Pierre Amette pour La Maîtresse de Brecht. Amette, contacté par son éditeur à lui-même d'abord cru à une farce avant d'être rassuré.

La surprise fut pour tous totale, y compris pour les prix concurrents du Goncourt, Académie Française et Fémina en tête qu'un « gentlemen's agreement » assurait cette année d'être les premiers prix proclamés. Une pilule amère que Reginé Desforges a bien du mal a avaler : « ce sont des gens qui manquent de parole, qui n'ont aucun souci de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, qui, en plus, se réunissent à la sauvette » a-t-elle déclaré au sujet des durés du Goncourt.

« Nous nous sommes aperçus assez tard que nous passions en dernier, après des grands et des petits prix. Nous risquions d'arriver comme un prix de consolation, l'année où le centenaire suscitait un intérêt très grand. Il y a eu une très grande majorité pour le choix du lauréat comme pour la décision de faire un vote anticipé », explique Edmonde Charles-Roux, présidente de jurés du Goncourt pour justifier la précipitation. Car il y eût bien précipitation puisque Michel Tournier, membre de la prestigieuse académie s'est vu obligé de voter par téléphone depuis la Tunisie où il séjournait à ce moment.

La présidente justifie également les choix de ses jurés en jugeant « on ne peut plus actuel » l'intérêt de Jacques-Pierre Amette, qui connaît ce pays depuis de nombreuses années, pour l'Allemagne de l'Est. Elle ajoute : « On peut nous accuser de magouilles. Nous sommes blindés… »

Evidemment, les langues et les stylos s'émeuvent qui ne vont pas manquer d'accuser les prix et leurs jurys d'êtres instrumentalisés par les éditeurs littéraires, eux-mêmes fers de lance de grands groupes de communication qui voient, au-delà des profits immédiats générés par les ventes, les retombées en terme d'image de marque dont ils pourraient bénéficier. Il n'est reste pas moins que ces sautes d'humeurs, ces rebondissements de mauvais feuilletons et ces éternels soupçons ne font rien pour améliorer l'image des grands prix – Fémina, Goncourt, Renaudot, Académie Française – bien écornée depuis quelques années et en passe d'être rattrapés, en terme de vente et de crédibilité par d'autres récompenses décernées par des jurys non professionnels comme le Goncourt des Lycéens ou le Prix du Livre France Inter, désormais grands générateurs de ventes.

A cet étrange jeu de dupe, on voit mal comment pronostiquer un gagnant. la littérature, elle, en sort toujours perdante...