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Avez-vous vu ce livre ?

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Publié le 26/12/2003
Les aventures d'un manuscrit chinois

Il a certainement été l'une des stars des ventes de beaux livres à Noël. Si l'édition grand public n'a pas connu d'histoire particulière, on ne peut pas en dire autant du manuscrit original…

Voici la bien étrange histoire d'un bien curieux ouvrage qui, d'apparitions en disparitions, bâtit sa légende depuis plusieurs siècles. Il s'agit du Gengzhitu, le livre du riz et de la soie, écrit au terme du XVII° siècle par Kangxi, empereur chinois de profession, poète à ses heures et illustré par le merveilleux Jiao Bingzhen. Quarante-six planches, chacune accompagnée d'un poème, illustrant les travaux et les jours de la paysannerie chinoise occupée aux durs labeurs de la culture du riz et du tissage de la soie. C'est sans nul doute l'un des chefs d'œuvre de l'art chinois, issu de la collaboration d'un empereur attentif à son peuple et d'un peintre humaniste, qui ne rechignait pas aux humbles tâches du gongbi, représentation de scène concrètes, alors moins recherchée que la " grande " peinture classique.

Il s'agit pour l'empereur de glorifier ce qui a ses yeux constitue le sel de la terre chinoise, la paysannerie rizicole et séricole qui nourrit l'immense empire et assure sa renommée de par le monde. Laboureurs, semeurs, repiqueuses, magnanarelles, trieurs et autres sont représentés au fil des planches et campés dans de brefs poèmes mêlant description et exaltation morale. Ouvrage s'inscrivant dans une tradition picturale et poétique millénaire le Gengzhitu est par ailleurs moderne en ce que ses illustrations sont un des premiers témoignages de l'influence grandissante de l'art européen en Asie, avec l'introduction de la perspective. Le fait que Jiao Bingzhen fût tout à la fois peintre et mathématicien n'est certainement pas étranger à son goût pour cette nouvelle technique.

Bref, voici un ouvrage qui possédait déjà toutes les qualités intrinsèques pour entrer dans la légende des chefs d'œuvres de l'art asiatique sans avoir besoin de connaître ces mille péripéties qui font aujourd'hui sa célébrité.

On a longtemps cru cette œuvre disparue au cours du fameux sac du Palais d'été, un pillage qui, en 1860, fit apparaître en Europe quantité d'œuvres majeures de l'art chinois ancien. L'exemplaire de l'ouvrage était certes connu, mais ne portant pas le sceau de la bibliothèque impériale, on le supposait œuvre de copiste.

Ce n'est que dans les années cinquante qu'un tout jeune marchand français, Claude Ménetret, alors débutant, fit lors d'une vente aux enchères l'acquisition du livre pour une somme dérisoire en regard de la valeur réelle du Gengzhitu. Le marchand donc, soucieux de préserver l'extraordinaire qualité de conservation de sa récente acquisition en fit faire une reproduction pour la consulter tout à son aise et fit circuler ce fac-similé dans le petit monde des experts et autres amateurs éclairés. La rumeur enfla chez les spécialistes : ce livre pourrait bien être l'exemplaire original du Gengzhitu, en effet les sceaux apposés sur ses pages l'attribuaient bien à la bibliothèque de l'empereur Kangxi et à celles de ses descendants de la dynastie mandchoue.

François Cheng puis Nathalie Monnet, sinologue à la Bibliothèque de France, viendront confirmer la rumeur : il s'agit bien de l'exemplaire original, et les poèmes sont probablement calligraphiés de la main même de l'empereur. Il fallait faire partager ce bonheur au public et les éditions Jean-Claude Lattès se sont attelées à la tâche, offrant un magnifique ouvrage composé d'une passionnante introduction à cet art si hermétique, une description minutieuse de l'ouvrage et de son histoire, la traduction des poèmes et, enfin, les quarante-six magnifiques planches reproduites au format original. Un magnifique voyage vers la Chine mandchoue, ses paysans et ses artistes, des heures de contemplation ébahie.

Mais l'histoire ne s'arrête hélas pas ici puisque celui qui fut l'heureux découvreur et propriétaire de l'œuvre en a été dépossédé quelques jours à peine après l'édition du livre. Il y a en effet six mois de celà, Claude Ménetret était cambriolé et on lui ravissait son précieux bien. Il ne lui reste plus que les reproductions qu'il avait eu la bonne idée de commander. Celà et l'espoir de recouvrer son bien un jour…

D'ici là, nous pouvons le remercier d'avoir eu le goût du partage ; grâce à quoi nous pouvons nous aussi lire le Gengzhitu

 

Planche XLI. Le Tavellage

Dépourvu de vêtement, au terme de sa vie,
le vieillard inspire immédiatement pitié ;

Le souffle du frimas secoue l'homme,
ses dents claquent
comme le grésillement du grillon ;

les nuits d'automne s'éternisent,
dans la chaumine
les jalousies exhibent leur lâche tressage

face au bougeoir raccourci,
le tavellage s'achève

 

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Kangxi