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Du rififi ches les intellos

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Publié le 22/11/2002
Polémique autour du Rappel à l'ordre de l'historien Daniel Lindenberg.

Il est orange, il pèse environ 250 grammes, il est signé Daniel Lindenberg et édité par Pierre Rosanvallon : c'est Le rappel à l'ordre . Un petit livre qui fait grand bruit.

Au milieu des années 90, les intellectuels de gauche se sont répartis en deux camps : d'un côté les radicaux, porteurs d'un message fortement critique à l'égard des mouvements de recomposition que connaissaient les sociétés des pays développés, regroupés derrière Pierre Bourdieu ; de l'autre, les libéraux, proche des sociaux-démocrates, souvent partisans d'un libéralisme tempéré que l'on appelait alors " néo-Tocquevillien ".

Il n'est pas sûr que ce débat ait beaucoup animé les veillées des chaumières françaises. En revanche la parution, il y a quelque semaines, de l'ouvrage de l'historien Daniel Lindenberg, Le Rappel à l'ordre (La république des idées, Seuil), va faire couler beaucoup d'encre et de salive dans les milieux intellectuels. On y dénonce en effet la dérive réactionnaire de certains, "penseurs de gauche" qui, reniant leurs origines marxistes, s'attaquent en bloc à l'Islam, mai 68, les femmes, les droits de l'homme, le tout sur un ton polémique et parfois moqueur.

Un tel ouvrage, un tel ton, ne pouvaient évidemment que provoquer la plus sévère des ripostes. C'est donc Alain Finkielkraut qui dans le Figaro du 14 novembre s'est fendu d'un compte rendu de l'ouvrage plutôt ironique sous le titre Intelligences serviles . Pierre-André Taguieff, historien, politologue, célèbre pour ses analyses des extrêmes droites et visé par Lindenberg, a pour sa part sèchement répondu qu' " attaquer les intellectuels de retour aux années 30, c'est les accuser de mener tout droit aux années noires ".

L'auteur, proche de Pierre Rosanvallon et de la revue Esprit, s'inscrit dans une dynamique de refondation du " bagage d'idées de la démocratie française " (Rosanvallon). Bien qu'un certain nombre de collaborateurs d'Esprit soit attaqués dans l'ouvrage, on sent bien que l'ennemi, la véritable cible se situe dans la zone d'influence de la revue Le Débat, dirigée par l'historien Pierre Nora.

L'auteur du Rappel à l'ordre semble appartenir au premier groupe, si l'on en juge par le nombre de membre du second qu'il attaque dans les quelques 90 pages de son livre. Semble seulement, car il s'en prend aussi à son camps. Et tout le monde y passe : sociologues, politologues, historiens, écrivains (Dantec, Muray, Houellebecq (tiens, ça faisait longtemps)) éditorialistes, nombreux sont ceux qui se voient reprocher un pseudo-libéralisme qui ne serait là que pour dissimuler un anti-marxisme des plus élémentaires.

Va-t-on assister à la guerre des " Pro-Esprit " et des " Pro-Débat " ? Sans doute. Commencée sur le terrain feutré des revues érudites, elle semble se déplacer vers un terrain plus médiatique. Des quotidiens tels Le Monde, Le Figaro ou Libération se sont fait l'écho depuis quelques jours de réactions indignées ou favorables des chefs de file des différents courants convoqués dans la dispute.

On pourrait donc regretter le tour vindicatif que prend la polémique mais on peut aussi se féliciter de voir les intellectuels de retour dans le débat politique. Souhaitons toutefois que cela se termine ailleurs que dans le pré, au petit matin, l'épée à la main…

Sources : Le Monde, Le Figaro, Libération.