Chargement...
Chargement...

Elfriede Jelinek, prix Nobel

81_elfriede-jelinek-prix-nobel
Publié le 08/10/2004
A la surprise générale - y compris la sienne - c'est l'écrivaine autrichienne Elfriede jelinek qui se voit décerner le Prix Nobel de littérature 2004

On lui aura tout reproché : son conservatisme, sa "bien-pensance", son machisme, sa lenteur à reconnaître les nouveaux talents. Pourtant l'académie Nobel aura cette année surpris tout son monde en décernant son prix à une très sulfureuse auteure autrichienne, Elfriede Jelinek, dont l'oeuvre, violente et parfois ingrate, remet sans cesse en question sa culture nationale, fondée selon elle sur le machisme et la violence sociale ou politique.

Nous reproduisons ici le communiqué de l'académie Nobel.

 

Le prix Nobel de littérature pour l'année 2004 est attribué à l'écrivain autrichien Elfriede Jelinek

«pour le flot musical de voix et contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l'absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux».

Académie Suédoise

 

Elfriede Jelinek est née le 20 octobre 1946 dans la ville de Mürzzuschlag dans le «land» autrichien de Styrie. Son père – d'origine tchèque et juive – était chimiste et employé à la recherche de matériel de guerre, de sorte qu'il échappe aux persécutions. Sa mère est issue d'une famille de la haute bourgeoisie de Vienne, ville où Elfriede Jelinek grandit et fait sa scolarité. Elle apprend très tôt la musique (le piano, l'orgue, la flûte à bec) et étudie aussi la composition au Conservatoire de Musique de Vienne. Après son diplôme de fin d'études au lycée Albert en 1964, elle suit des cours en théâtre et en histoire de l'art à l'université de Vienne tout en continuant ses études musicales. En 1971 elle obtient son diplôme d'organiste au conservatoire.

Très tôt Elfriede Jelinek écrit des poèmes. Elle débute avec le recueil de poésie Lisas Schatten 1967. Après être entrée en contact avec le mouvement étudiant, elle donne à son écriture une orientation de critique sociale. En 1970 paraît son roman satirique wir sind lockvögel baby!. Il a, comme le roman suivant Michael. Ein Jugendbuch für die Infantilgesellschaft (1972) le caractère de la résistance langagière dirigée contre la culture populaire et ses représentations mensongères sur la bonne vie.

Après quelques années passées à Berlin et à Rome au début des années soixante-dix Jelinek a épousé Gottfried Hüngsberg en 1974 et a résidé alternativement à Vienne et à Munich. Elle a conquis le public littéraire allemand avec ses romans Die Liebhaberinnen (1975; Les amantes, 1992), Die Ausgesperrten (1980; Les exclus, 1989) et Die Klaverspielerin (1983; La pianiste, 1988) à base autobiographique qui en 2001 a fait le sujet d'une adaptation remarquée à l'écran par Michael Haneke. Ces romans représentent chacun dans le cadre de leur problématique un monde sans grâce où le lecteur est confronté à un ordre bloqué de violence dominatrice et de soumission, de chasseur et de proie. Jelinek montre comment les clichés de l'industrie du divertissement s'installent dans la conscience des êtres humains et paralysent leur résistance aux injustices de classe et à la domination sexuelle. Dans Lust (1989; Lust, 1991) Jelinek fait suivre l'analyse sociale d'une critique fondamentale de la civilisation en décrivant la violence sexuelle contre les femmes comme étant le modèle de base de notre culture. Cette optique continue sur un ton plus léger dans Gier. Ein Unterhaltungsroman (2000; Avidité, 2003), une étude sur l'exercice implacable du pouvoir masculin. Jelinek a particulièrement fustigé l'Autriche avec fureur dans son roman fantasmagorique Die Kinder der Toten (1995) où elle la représente comme un royaume de morts. Elle est dans son pays natal une personnalité très controversée. Comme base de sa création elle s'appuie sur la longue tradition littéraire autrichienne utilisant un langage élaboré pour sa critique de la société, avec des prédecesseurs comme Johann Nepomuk Nestroy, Karl Kraus, Ödön von Horváth, Elias Canetti, Thomas Bernhard et le groupe de Wiener.

Les textes de Jelinek sont souvent difficiles à classifier en genre. Ils varient entre prose et poésie, incantation et hymne, ils contiennent des scènes théâtrales et des séquences filmiques. L'essentiel de son écriture s'est cependant déplacé de la forme du roman à celle de l'art dramatique. Sa première pièce radiophonique wenn die sonne sinkt ist für manche schon büroschluss reçut un accueil très positif en 1974. Elle a depuis écrit un grand nombre de textes pour la radio et le théâtre, où elle a successivement abandonné le dialogue classique pour une sorte de monologues polyphoniques qui ne servent pas à limiter les rôles mais à permettre aux voix issues de différents niveaux de la psyché et de l'histoire d'être entendues simultanément. Ce qu'elle met en scène dans ses pièces des dernières années – Totenauberg, Raststätte, Wolken. Heim, En Sportstück, In den Alpen, Das Werk et d'autres – ne sont pas des caractères mais des «surfaces linguistiques» qui se confrontent. La dernière oeuvre dramatique publiée de Jelinek, intitulée les «drames des princesses» (Der Tod und das Mädchen I-V, 2003) joue sur un thème central de son oeuvre, l'incapacité de la femme à affirmer pleinement son existence dans un monde où elle est dépeinte à outrance dans des images stéréotypées.

Jelinek a aussi été traductrice (Thomas Pynchon, Georges Feydeau, Eugène Labiche, Christopher Marlowe) et a en outre écrit des scénarios pour le film et un livret d'opéra. Parallèlement à sa création littéraire elle s'est fait connaître comme une socio-polémiste hardie dont le site Internet est gardé en permanence ouvert à des commentaires sur des questions brûlantes.

En savoir plus : le site de l'académie Nobel

 

Elfriede Jelinek
Elfriede Jelinek - photo D.R.

Bientôt sur ce site, un dossier spécial Elfriede Jelinek