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Herta Müller : Roumaine, allemande... et Nobel

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Publié le 09/10/2009
Le prix Nobel de littérature 2009 a été décerné à l'écrivaine allemande Herta Müller qui, selon le porte parole de l'académie Nobel, "avec la concentration de la poésie et l'objectivité de la prose, a dessiné les paysages de l'abandon"
Les jurés du prix Nobel de littérature ont pour coutume d'alterner la reconnaissance de l'évidence et  le pari sur une œuvre. Si le couronnement de Jean-Marie Gustave Le Clézio l'an passé relevait de la première catégorie, celui d'Herta Muller, auteur de langue allemande mais d'éducation roumaine tient plutôt de la seconde.

Née en 1953 de parents souabes à Nitchidorf, en Roumanie, Herta Müller a été élevée dans la double culture allemande et roumaine. Jeune fille, elle entame des études supérieures d'allemand à Timisoara et rejoint à ce moment-là l'Aktionsgruppe Banat, un collectif littéraire germano roumain qui vise à défendre la liberté d'expression des minorités linguistiques et culturelles dans la Roumanie de Ceaucescu. Au terme de ses études, elle devient interprète mais se voit bientôt renvoyée de son poste en raison de sa réticence à collaborer avec la Securitate de sinistre mémoire. S'ensuit alors pour elle un quotidien de petits métiers, où elle alterne garde d'enfants et leçons particulières d'allemand.

En 1982, elle publie Niederungen, un recueil de nouvelles écrites en allemand. La version de l'ouvrage publiée en Roumanie est évidement l'objet de coupes par la censure et ce n'est que bien plus tard, après être parvenue à faire passer clandestinement son manuscrit en Allemagne qu'est publiée la version intégrale qui dévoile à son lecteur une chronique impitoyable du zèle obéissant de la minorité souabe à l'égard du pouvoir roumain ; zèle que l'auteur voit naître du terreau fasciste commun à de nombreuses minorités germanophones des pays de l'est et de l'Europe centrale. Deux ans après, paraît son second ouvrage, Drückender Tango. Elle est invitée à la foire du livre de Francfort où elle se livre publiquement à une violente critique du pouvoir roumain ainsi que de sa politique à l'égard des minorités.

Critique de son pays de naissance, observatrice sans complaisance de sa propre communauté, interdite de publication en Roumanie après « l'incident » de Francfort, Herta Müller n'en poursuit pas moins son travail d'écriture. En 1987, elle émigre en Allemagne avec son mari, le poète de langue allemande Richard Wagner. Elle vit- depuis à Berlin.

En la récompensant pour la totalité de son œuvre, comme il est d'usage, le jury du Nobel a, selon les mots de son porte-parole, voulu consacrer une écrivaine de la singularité. Etrangère dans sa propre famille, étrangère dans son village, étrangère dans son pays, Herta Müller est un écrivain du déracinement permanent qui a chèrement payé sa liberté de parole au temps des dictatures. Son œuvre actuelle reste d'ailleurs concentrée sur les mêmes lieux et sur la même période, transformant le témoignage politique en travail de mémoire historique, description fine et poétique des mentalités et de leur transformation par le pouvoir politique.

De l'ensemble de son œuvre allemande, seul trois – pour l'instant – textes sont aujourd'hui traduits en Français : L'homme est un grand faisan sur Terre, disponible dans la collection Folio des éditions Gallimard ; Le renard était déjà le chasseur, publié au Seuil et le récent La Convocation édité par Anne-Marie Métailié. Heureusement pour nous, lecteurs, il s'agit là de trois textes essentiels et parfaitement représentatifs de l'écriture d'Herta Müller.


Photo : © Hanser Verlag