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Imre Kertész Prix Nobel de littérature

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Publié le 10/10/2002
Le prix Nobel de littérature pour l'année 2002 est attribué à l'écrivain hongrois Imre Kertész

Bonne nouvelle pour le hongrois, bonne nouvelle également pour la littérature, Imre Kértesz accède à la renommée internationale grâce à l'Académie Nobel.

Nous reproduisons ici la notice qui lui est consacrée sur le site des "Nobel".

Imre Kertész est né le 9 novembre 1929 à Budapest, dans une famille juive. 1944 il fut déporté au camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau. Il fut libéré à Buchenwald en 1945. Après son retour en Hongrie, il travailla à Budapest pour le quotidien Világosság à partir de 1948, puis il fut licencié en 1951 quand le journal fut proclamé organe du parti communiste. Après deux ans passés sous les drapeaux, il mène depuis une vie d'écrivain indépendant et de traducteur d'auteurs de langue allemande tels que Nietzsche, Hofmannsthal, Schnitzler, Freud, Roth, Wittgenstein et Canetti qui tous ont eu une influence sur sa création littéraire.

« pour une œuvre qui dresse l'expérience fragile de l'individu contre l'arbitraire barbare de l'histoire ».

L'œuvre d'Imre Kertész examine si la possibilité de vie et de pensée individuelles existe encore à une époque où les hommes se sont subordonnés presque totalement au pouvoir politique. Son œuvre revient continuellement sur l'événement déterminant de sa vie : le séjour à Auschwitz où il fut déporté adolescent lors des persécutions nazies des Juifs hongrois. Pour l'écrivain, Auschwitz ne constitue pas un cas d'exception, tel un corps étranger qui se trouverait à  l'extérieur de l'histoire normale du monde occidental, mais bien l'illustration de l'ultime vérité sur la dégradation de l'homme dans la vie moderne.

Dans son premier roman Sorstalanság, 1975 (Etre sans destin, 1997), Kertész raconte l'histoire de Köves. Arrêté puis déporté dans des camps de concentration, le jeune homme s'adapte et survit. Le livre se sert d'une stratégie d'aliénation permettant de considérer la réalité du camp comme tout à fait naturelle, un quotidien semblable aux autres, si ce n'est pour ses conditions de vie ingrates, avec parfois ses moments de bonheur. Köves promène un regard d'enfant sur les événements, sans bien les comprendre, sans les trouver anormaux ou révoltants – il n'a pas le recul du lecteur. La crédibilité choquante du récit s'explique peut-être justement par le fait qu'il lui manque cet élément d'indignation morale ou de protestation métaphysique que le sujet revendique. Le lecteur est confronté non seulement à la cruauté des exactions mais tout autant à l'immense irréflexion qui caractérisait leur exécution. Pour les bourreaux aussi bien que pour leurs victimes, absorbés dans l'omniprésence des problèmes pratiques, les questions plus vastes n'existaient pas. D'apres la conviction de Kertész, vivre, c'est s'adapter. La faculté d'adaptation du prisonnier à Auschwitz est une expression du même conformisme que celui qui règle notre quotidien et notre vie sociale.

Par ce raisonnement, l'auteur se rattache à l'école de penseurs qui dichotomise vie et âme. Dans Kaddis a meg nem születetett gyermekért, 1990 (Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, 1995), Kertész donne une image foncièrement négative de l'enfance et il attribue à ce premier stade le sentiment paradoxal du chez soi ressenti dans le camp de concentration. Il achève son analyse existentielle implacable en représentant l'amour comme le comble de l'adaptabilité, la capitulation totale devant la volonté d'exister à tout prix. Pour Kertész, la spiritualité chez l'homme se révèle dans son incapacité à vivre. L'expérience de l'individu semble infructueuse dans la perspective des besoins et des intérêts de la collectivité humaine.

Dans le recueil de fragments Gályanapló (« Journal de Galère »), 1992, Kertész montre son envergure intellectuelle. « Les justifications théoriques ne sont que des constructions », écrit-il, tout en poursuivant un dialogue inlassable avec la grande tradition de critique culturelle – Pascal, Gœthe, Schopenhauer, Nietzsche, Kafka, Camus, Beckett, Bernhard. Dans son essence, Imre Kertész représente une minorité limitée à une personne. Son affiliation à la notion de Juif est pour l'écrivain une définition imposée par l'ennemi. Mais par ses conséquences, cette catégorisation arbitraire l'a initié à la plus profonde connaissance de l'homme et de son temps.

Les romans qui ont succédé à Sorstalanság, 1975 (Etre sans destin, 1997), A kudarc, 1988 (Le refus, 2001), et Kaddis a meg nem születetett gyermekért, 1990 (Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, 1995), revêtent avant tout le caractère de commentaires et d'ajouts au livre initial déterminant. C'est ce trait qu'exploite le thème de A kudarc. Dans l'attente du refus certain de son véritable roman, celui sur Auschwitz, un auteur vieillissant écrit pour tuer le temps un roman contemporain kafkaïen, un récit claustrophobe sur l'Europe de l'Est socialiste. Quand il apprend finalement que son roman initial sera malgré tout publié, il ne ressent qu'un sentiment de vide. Exhibée sur le marché littéraire, sa personne se métamorphose en un objet, ses secrets sont banalisés.

L'intransigeance de l'auteur sur sa jugement est clairement perceptible dans son écriture qui peut évoquer une haie d'aubépine, serrée et épineuse au contact du visiteur insouciant. Mais Kertész libère le lecteur du fardeau des sentiments obligés et attire vers une liberté de pensée singulière.

 

Bibliographie

Œuvres  Traduites en français
Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas : roman / trad. du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba. – Arles : Actes Sud, 1995. – Traduction de: Kaddis a meg nem születetett gyermekért
Etre sans destin : roman / trad. du hongrois par Natalia et Charles Zaremba. – Arles : Actes Sud, 1997. – Traduction de: Sorstalanság
Un autre : chronique d'une métamorphose / trad. du hongrois par Natalia et Charles Zaremba. – Arles : Actes Sud, 1999. – Traduction de: Valaki más : a változás krónikája
Le refus : roman / trad. du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai ; en collab. avec Charles Zaremba. – Arles : Actes Sud, 2001. – Traduction de: A kudarc

Source : www.nobel.se