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L'Inter pour Olivia Rosenthal

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Publié le 07/06/2011
Le jury 2011 du livre Inter, présidé par Amin Maalouf, récompense le livre d'Olivia Rosenthal, qui avait séduit nos libraires lors de la dernière rentrée de septembre, Que font les rennes après Noël ? (Verticales).
Voici donc la réaction à chaud de nos libraires lors de la sortie du roman désormais récompensé de l'écrivaine :


Si les rennes peuvent parfois obséder les enfants, c'est surtout à l'approche de Noël, après quoi, la ferveur retombée, ils n'ont souvent droit à aucune pensée mélancolique : on les oublie dans le froissement des papiers cadeau. Il existe cependant des enfants pour qui une question, une fois posée, mérite une réponse. Parmi ceux-là quelques uns deviennent écrivains et leurs écrits prolongent ces interrogations premières.

On serait embarrassé d'évoquer une héroïne au sujet de Que font les rennes après Noël ?, le nouveau livre d'Olivia Rosenthal. Cet auteur n'a pas la passion de la narration ni des histoires, elle laisse cela à d'autres qui ne se privent pas de gratter sans fin leurs croutes intimes en espérant qu'on y verra du vernis. Non, tout entière dans l'écriture en même temps qu'immergée dans le réel, elle conçoit des livres d'une totale originalité dont on a du mal à se déprendre : ni fiction, ni documentaire, l'assemblage, rythmé obsessionnellement, fait alterner sans relâche observations sur le rapport de l'homme avec le monde animal - notamment celui du loup qui vit en meute et dont on connaît le lien qui l'unit et l'éloigne de l'homme depuis l'aube des temps - et évolution d'une fillette qu'elle nous fait vouvoyer pour mieux la voir grandir. L'artifice du procédé est vite neutralisé par le travail de correspondances que nous invite à faire l'auteur qui a compilé remarques, anecdotes, souvenirs et analyses d'hommes, et le plus souvent de gens dont il s'agit du métier, relatant leur rapport aux bêtes. La forte idée du livre, si elle n'est pas neuve, est cependant exploitée avec une finesse qui laisse pantois : nous obliger à confronter hommes et bêtes, ceux que nous côtoyons ou subissons, ceux que nous observons et ceux que nous sommes, nous contraindre à mesurer les limites de ce que nous appelons notre liberté et les barreaux que nous imposons au règne animal que nous croyons dominer quand il ne cesse de se manifester dans nos propres attitudes et nos sales comportements, c'est le défi que lance l'auteur qui n'a pas oublié que dès son plus jeune âge l'humain est confronté à des histoires d'animaux anthropomorphisés. Lapidaires, les fragments narratifs et documentaires alternent, nous soumettant à un permanent travail de recomposition pour suivre le destin qui en creux se dessine devant nous : ce “vous” obsédant qui nous est imposé et qui dissimule un être civilisé parcouru d'accès de “sauvagerie” nous renvoie à cette innocence mythique que l'on prête aux enfants et aux animaux. Certaines questions n'ont pas de réponses, certaines bêtes ne meurent jamais qu'en nous. C'est ce sujet abordé avec sérieux et dérision qu'aborde Olivia Rosenthal. Elle réussit ainsi à bâtir un livre stimulant et intrépide, entraînant et jamais glissant. Une telle gageure, et maîtrisée de la sorte, mériterait mieux qu'un bel accueil critique. Mais la littérature est un loup pour l'homme, du moins en septembre.


Article du 13 septembre 2010, recueilli sur le blog de littérature des libraires, « Ces mots-là, c'est Mollat »