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Le retour d'Ulysse.

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Publié le 11/06/2004
Cent ans après ce jour de juin 1904, jour où se déroule l'action d'Ulysse, les éditions Gallimard font paraître une nouvelle traduction du chef d'oeuvre de James Joyce.

Nous vous disions dans un récent article que Dublin se préparait à célébrer avec faste le 100eme Bloomsday, commémorant la journée du 16 juin 1904 où se déroule l'action d'Ulysse. Et bien il semble que Paris soit également de la fête puisque la presse regorge d'articles annonçant la parution d'une nouvelle traduction de l'oeuvre clé de l'écrivain irlandais. Celle-ci paraît sous la couverture ivoire des éditions Gallimard accompagnée de l'imprimatur du petit-fils et héritier de James Joyce, gardien sourcilleux du temple de son grand-père. Ce dernier a en effet suivi avec grand intérêt les trois longues années qu'a nécessité la retraduction d'un ouvrage dont la langue sonore et polysémique avait en son temps choqué si fort qu'il fut interdit dans la quasi totalité du monde anglo saxon.

Paris fut une première fois à l'honneur à cette époque puisque c'est Adrienne Monnier, libraire à Shakespeare & Conpany, temple parisien des lettres anglo-saxonnes, qui édita la première version de l'ouvrage sous la marque La Maison des Amis des Livres. En ce temps, Gallimard, déjà, reconnut la qualité du texte et publia une première traduction opérée, dans des conditions difficiles de brouilles et disputes théoriques ou personnelles, par Auguste Morel, distingué angliciste, Stuart Gilbert, ancien magistrat et Valéry Larbaud, poète, tous trois supervisés par l'oeil unique et distant de l'auteur qui, dans les faits, se borna à répondre aux questions des auteurs et s'en tint là.

Joyce lui-même, nous dit le prière d''insérer de l'ouvrage, avait fixé la date de péremption de la traduction à soixante-dix ans. Ce délai passé, Gallimard et Stephen Joyce pouvaient mettre en chantier la relecture du chef d'oeuvre et constituer une nouvelle équipe au chevet du futur bébé. Sous la direction de Jacques Aubert, on a donc regroupé des écrivains, des anglicistes et des spécialistes de Joyce, en tout huit traducteurs auxquels Aubert a rajouté les noms de traducteurs originaux puisqu'on a conservé la traduction des Boeufs du soleil telle quelle.

Et pour quel résultat demanderez-vous ? Et bien, il en ressort une modernisation de la langue qui, loin d'éloigner la traduction du texte original de 1921 l'en rapproche. Au sens littéral, les traducteurs ont préféré le son littéraire ; sous la tutelle vigilante des « joyciens » de service qui, inébranlables, ont sur ramener la troupe dans le droit chemin quand elle tendait à s'égarer. Ainsi « sapristi » devient « bordel » ; «Tapping her tipping her topping her tup» devient «La tannant la tapant la tassant. Tâche.» et l'on perçoit ici l'écrivain - il s'agit de Thiphaine Samoyault - aidant le texte français à naître, lui apprenant la musique et le rythme, sans toutefois perdre de vue qu'il s'agit de l'oeuvre d'un autre, et quel autre !...

Un article publié dans le journal Libération confie que les débats furent nombreux et âpres au sein du collectif chargé de l'entreprise. Ainsi de la francisation des noms, un temps souhaitée par Joyce lui-même lors de la traduction. En effet les noms d'Ulysse font sens. Stephen Dedalus aurait pu se nommer Etienne Dédale, ce qui en scandalisa plus d'un. La poire fut coupée en deux, Stephen continuerait de s'appeler Dedalus mais les surnoms eux passeraient à la moulinette.

Voilà donc un des textes légendaires de la littérature mondiale - légendaire à plusieurs titres parmi lesquels sa difficulté de lecture et sa relative opacité - rendu à ses lecteurs contemporains dans toute sa verve et sa crudité. Le voici donc prêt à reconquérir un nouveau lectorat. Certain commentateur semble trouver vulgaires et déplacées (c'est aussi le cas de Stephen Joyce, l'héritier) les parades de Bloomsday. Au contraire, dirons-nous, il est plutôt rassurant de voir la foule s'approprier un livre et son auteur. Le peuple de Dublin a su conquérir un Joyce que les puissants du temps avaient rejeté. Que Joyce lui-même apprécie ou pas l'hommage c'est une autre histoire. De toute façon, il est mort ; alors qu'Ulysse nous est revenu, plus vivant que jamais.


Ulysse, 1929

Ulysse, 2004

de 1929...

...à 2004 .