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Les allers-retours d'André Schiffrin

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Publié le 14/04/2007
L'éditeur André Schiffrin publie Allers-Retours, récit d'une vie d'engagement au service de l'écriture.

Indépendant. Ce mot définit André Schiffrin plus que tout autre. Indépendant, il l'est chaque jour par profession. En 1991, après sa fracassante démission de la direction de Pantheon Books, il fonde The New Press, première maison d'édition à but non lucratif et non universitaire des Etats-Unis. Indépendant, il l'est également par conviction, luttant pour la promotion de l'édition indépendante, seule capable à ses yeux de défendre la pluralité éditoriale face à la normalisation littéraire et intellectuelle dont il rend responsable les grands groupes mondiaux d'édition.

André Schiffrin est né en 1935, à Paris. Fils de Jacques Schiffrin, fondateur de la Bibliothèque de la Pléiade et peintre, il émigre aux États-Unis avec ses parents en 1941, fuyant les persécutions dont sont alors victimes les juifs d'Europe. Etudiant, il connaît un parcours classique dans l'excellence. Fréquentant les bancs de Yale, prestigieuse fabrique de l'élite étatsunienne, il y crée un groupe d'étudiants démocrates. Envoyé à Cambridge, il collabore à la prestigieuse revue Granta. Ses rencontres mêlées à ses propres réflexions politiques et philosophiques le guident à la découverte de textes singuliers, en français ou en anglais, et d'auteurs, qu'il décide de faire connaître.

S'ensuivent alors les années Pantheon Books qui le verront publier Michel Foucault, Roland Barthes, Noam Chomsky aussi bien que Marguerite Duras ou encore Jean-Paul Sartre. Quand on sait la renommée qu'ont acquise ces auteurs dans les milieux intellectuels américains, on comprend mieux l'influence qu'eut le jeune exilé français sur la vie des idées de son temps.

L'aventure traversera les années soixante, puis les seventies avec la gloire que l'on sait. Vint ensuite le temps des grandes concentrations éditoriales avec leur cortège de rachats, regroupement, fusions et 'inévitable montée en puissance des valeurs comptables au détriment des valeurs intellectuelles. André Schiffrin ne se retrouvait visiblement pas dans ce monde là, qu'il décida de quitter en claquant la porte, c'était en 1990.

Depuis, le prospère éditeur – quinze années d'activité éditoriale sans le moindre déficit comptable, un pied de nez à ses anciens « patrons », sans doute – s'est attelé à pourfendre les grands groupes éditoriaux, dont la logique de rentabilité à tout prix lui apparaît comme néfaste à la diversité éditoriale. Il est vrai que, vu d'ici, la prise de risque intellectuel ne semble pas être le principal souci de ces géants de l'édition que sont les conglomérats américains.

Ce combat, il le mène en librairies, puisque notre éditeur est également l'auteur de plusieurs ouvrages remarqués : L'Edition sans éditeurs, paru en 1999, à la Fabrique, qui, décrivant et analysant les bouleversements que connut l'édition américaine dans les années 80 annonçait les concentrations que vit depuis quelques années le secteur éditorial français. Le Contrôle de la parole, publié par le même éditeur en 2005, revenait sur le constat de l'ouvrage précédent en analysant le rôle des éditeurs français dans leur propre déclin.

Il paraît ces jours-ci un nouvel ouvrage d'André Schiffrin, qui, à lui seul, résume et illustre les deux précédents. Allers-Retours est un livre de mémoires, celles de l'éditeur, qui y conte par le menu son aventure professionnelle et celles de l'homme, fils d'un artiste intellectuel juif, né en France, émigré aux Etats-Unis qui fera de sa double culture, étayée d'une incroyable curiosité, un instrument au service de la diffusion des écrits et des idées. On y fréquente Gide, Roger Martin du Gard, on étudie à Yale et à Cambridge, on découvre Foucault et avec lui ce que les américains nommeront la French Theory. Tout cela dans mots d'un passeur discret et modeste, un éditeur, un intellectuel en colère, André Schiffrin.

Aujourd'hui, à 72 ans, André Schiffrin continue son combat, dans ses propres livres et dans ceux qu'il édite. Au programme de New Press ces jours-ci : Jean Echenoz, qui rejoindra Jean-Philippe Toussaint, Pierre Bourdieu, Eric Hobsbawm, Antoine Volodine et Marie Darrieusecq. Pas mal, pour un indépendant, non ?