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Lumières sur l'isoloir

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Publié le 05/04/2012
La chronique de Louis Lourme : Faut-il tirer au sort le nom du prochain président ?Retrouvez tous les dossiers relatifs aux Présidentielles 2012 dans « Aux Livres Citoyens ! »
« Dans l'antiquité grecque, de nombreuses charges politiques étaient attribuées par tirage au sort. On laissait ainsi le hasard décider qui, parmi les citoyens de la Cité, allait endosser la responsabilité d'une position politique. Aussi étrange qu'elle puisse paraître à un citoyen du vingt-et-unième siècle, on dit souvent que cette pratique avait au moins le mérite de mettre tout le monde sur un pied d'égalité et d'obliger chaque citoyen à se sentir concerné par la vie de la Cité. Il me semble que son plus grand mérite est qu'elle permettait d'éviter les accents de grande foire à la séduction que prennent parfois nos périodes électorales.

« Aujourd'hui en effet, à quoi assistons-nous durant les mois qui précèdent une élection – et particulièrement une élection présidentielle ? Comme nous ne nous reposons plus sur le hasard mais sur le choix des citoyens pour décider de l'attribution des responsabilités politiques, il faut passer par une période durant laquelle des candidats se présentent et se distinguent pour essayer de nous convaincre de porter sur eux notre choix. En tant que processus démocratique, le principe de l'élection suppose d'abord que les citoyens soient suffisamment éclairés pour faire un choix qui ne soit pas guidé seulement par leurs penchants ou leurs intérêts propres mais aussi par une certaine idée du bien commun. Dans le même temps, cette pratique implique que le pouvoir politique n'appartient pas à la personne élue, mais toujours aux citoyens qui l'ont élu – nous sommes ainsi théoriquement, chacun d'entre nous, les premiers responsables d'une politique puisque nous l'avons choisie, et les élus n'ont de pouvoir qu'à titre provisoire.

« Toutefois, malgré ces caractéristiques propres sur le plan de la théorie politique, chaque élection donne la même impression : les candidats semblent courir après l'exercice du pouvoir politique, comme si celui-ci exerçait sur eux une fascination, comme s'il était désirable pour lui-même. Pourtant ce pouvoir, avec tous ses moyens, avec toutes les précautions dont on l'entoure, avec tous ses fastes et toutes les envies qu'il suscite, n'est finalement rien d'autre que le service de la communauté au sein de laquelle il s'exerce. Pourquoi courent-ils donc ? Pourquoi courir après un CDD consacré au service ? Pas question d'être naïf : les luttes pour le pouvoir politique ne sont pas des luttes désintéressées de personnes qui seraient prêtes à tout, simplement pour se mettre au service de la communauté. Les représentations symboliques et les avantages du pouvoir ne comptent évidemment pas pour rien dans cette course et dans l'énergie que certains déploient pour accéder à une charge politique. Cependant, il n'y a pas de raison de considérer a priori, comme par un excès de cynisme, que la dimension de service soit tout à fait exclue du projet des femmes et des hommes politiques. Et d'autre part, il est toujours bon de se répéter que le vote pour lequel on se prépare est précisément l'exercice privilégié de notre pouvoir politique (de ce point de vue, le pouvoir politique n'est pas rigoureusement quelque chose à quoi on accède, quelque chose que l'on obtient, il est d'abord quelque chose que l'on consent ou non à laisser en dépôt à telle ou telle personne).

« Faut-il alors accorder du crédit à la formule qui veut que la présidentielle soit littéralement une "course au pouvoir" ? A mon sens cette formule pose un double problème. D'abord parce que cela semble dire que le but de l'élection serait l'accession au pouvoir. Or celui-ci n'a pas de valeur en lui-même ; aussi grandiloquent que cela puisse paraître, nous sommes bien obligés de dire qu'il ne vaut que comme moyen au service du bien commun. De même, on ne peut pas dire qu'une victoire électorale donne littéralement le pouvoir : elle accorde tout au plus des moyens ponctuels et limités pour mener une action politique jusqu'à la prochaine échéance. Mais surtout, voir la présidentielle comme une course au pouvoir, c'est se condamner à y rester extérieur, à y assister en spectateur (comme on peut être spectateur d'une course cycliste ou d'une course automobile). Que les candidats courent donc après le pouvoir, s'ils aiment courir. Mais nous ne sommes évidemment pas appelés à être spectateurs de l'élection présidentielle, c'est au contraire le moment privilégié pour être acteur de la vie politique dans notre République – et c'est d'ailleurs la seule raison qui justifie qu'on ne tire pas au sort le nom du prochain président de la République. »

Louis Lourme

Louis Lourme est agrégé de philosophie ; il enseigne à l'université de Bordeaux III, à l'I.E.P. de Bordeaux et dans le secondaire. Ses travaux de recherche portent sur l'actualité de la notion de citoyenneté mondiale. Il est l'auteur d'ouvrages chez Pleins Feux : Le monde n'est pas une marchandise (slogan altermondialiste) et Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible (Patrick Le Lay).



La chronique régulière de Louis Lourme s'inscrit dans une démarche générale d'éclairages divers, réalisée en collaboration par des auteurs, des universitaires, des professionnels et les libraires, en vue des élections présidentielles françaises de 2012 : « Aux livres citoyens ! ».

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