Jusqu'en 1988, il n'était ici connu que d'une poignée d'amateurs de littérature de langue arabe. En Egypte, sa renommée était déjà bien établie, grâces en soient rendues aux censeurs qui empêchèrent la parution de l'un de ses romans, Les Fils de la Médina, où il mettait en scène des personnages directement inspirés des grandes figures du monothéisme. Le prix Nobel de liittérature lui offrit une reconnaissance publique internationale et fit découvrir au monde un écrivain universel, merveilleux conteur et spectateur avisé de son temps.
Né en 1911 au Caire, dans le quartier de Gamaleyya, Naguib Mahfouz a été élevé dans une famille de la classe moyenne. Tôt passionné par son quartier et sa ville, il en a fait la matrice de son œuvre.
Aux romans historiques de ses débuts, succédèrent d'autres livres, plus ancrés dans la réalité du Caire. C'est là que le talent de Naguib Mahfouz va donner sa véritable dimension. De cette époque date son œuvre la plus célèbre, une trilogie composée de Impasse des Deux-Palais, Le Palais du désir et Le Jardin du passé om il met en scène une famille cairote qui pourrait être la sienne.
De chroniqueur, il devient philosophe dans des romans plus exigeants. C'est dans cette troisième veine que se situera l'essentiel de sa production, des années 60 à nos jours.
Mais l'auteur sait également être présent au monde à travers ses engagements. Profondément démocrate et attaché aux libertés, qu'elles soient de penser, d'écrire ou de circuler, il posa toute sa vie un regard critique sur la société égyptienne et ceux qui la gouvernent. Favorable aux idées nasseriennes des débuts de la révolution de 1952, il prit ensuite ses distances avec le militantisme pour s'engager dans une voie plus solitaire et exigeante, celle de l'honnêteté à tout prix. Cairote parmi les cairotes, il aimait passer de longues heures à discuter sans tabous des grands sujets du moment - qu'ils soient religieux, politiques ou littéraires - avec ses amis assis à la terrasse d'un café. Cette habitude était d'ailleurs devenue un rite qu'il observa jusqu'à la fin de sa fin.
Homme de paix, il fut l'un des rares intellectuels arabes à approuver les accords de paix entre l'Egypte et Israël, tout en manifestant un soutien sans faille à la cause palestinienne.
Ces engagements n'étaient pas pour plaire aux plus radicaux, ce qui lui valu plusieurs interdictions de publication et une blessure à la poitrine, infligée par le couteau d'un extrémiste musulman en 1994.
C'est cette flamme qui vient de s'éteindre. Un vivant symbole de paix, de tolérance et de talent, qui laisse orphelin non seulement un peuple éploré (ses obsèques seront nationales) mais également la littérature toute entière. Il sera inhummé jeudi, au Caire bien sûr.