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Pas Lorellou 1

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Publié le 04/12/2014
Billet littéraire autour de la venue d'Emilie de Turckheim, jeudi 4 décembre à18h00 dans les salons Albert Mollat
Si Héloïse est chauve, Emilie est gonflée. Si nous ne parlons pas ici d'Héloïse d'Ormesson qui n'a rien à craindre pour sa chevelure, nous évoquons en revanche Emilie de Turckheim que vient d'éditer la première à la suite de trois autres romans dont Héloïse est chauve, on y arrive. Car culottée, l'auteur d'Une sainte l'est assurément en publiant La disparition du nombril, son journal de grossesse, un sujet qui a priori a de quoi révolter les âmes bien pensantes de la littérature qui relèguent l'accouchement à la lisière des sujets fréquentables.

Lorsque l'enfant paraît, il est souvent ennuyeux ou fatigant, voire les deux ; quand il n'est pas encore né, il est infréquentable. A moins qu'on n'ait la plume vive, le verbe haut, la tendresse sans la mièvrerie pour s'intéresser aux mouvements de son propre coeur battant à l'unisson d'un être dont on ne sait rien sinon la place qu'il prend un peu plus chaque jour dans votre vie. Quelques mois de la vie d'une jeune femme qui annonce dans son journal que le deuxième mois vient de commencer – le premier ne fait qu'une ligne et nous précise la date, le 15 août, un jour sous le signe du bleu et pas seulement marial car c'est aussi la couleur du résultat positif du test – et que tout va changer. On note d'entrée ce Rien au milieu de la page qui jouxte le mot Enceinte : il ne faut rien soulever pour se ménager mais pour l'heure cette présence c'est du presque rien, de l'invisible qu'on porte en soi comme une promesse et un avenir.

Le livre est placé sous le signe d'une plante fétiche qui n'aime pas qu'on la bouscule sans quoi elle se venge, un long test de grossessecactus qui n'en finit pas d'agoniser et dont on se débarrasse plus ou moins auprès de la vieille copine confrontée à un autre type d'agonie. Et l'écriture d'Emilie de Turckheim est un peu à l'image de cette plante : droite, verte, parfois fleurie mais qui n'hésite pas à piquer, à se rebeller, riche d'une sève secrète dont elle nous laisse imaginer le goût. Car ce long moment d'amour qu'est une grossesse réveille le souvenir de tous les amours qui ont traversé sa vie ou s'y sont installés, ces hommes qui pensent encore à elle, qui auraient aimé lui faire des enfants, qui ne disparaissent jamais vraiment, qui font signe ou s'estompent. « Il n'y a pas de certitude en ce monde », constate-t-elle face aux réactions des uns et des autres, comme ceux qui lui disent que deux ans d'écart entre des enfants c'est merveilleux, et ceux qui concluent que c'est atroce…
Rien n'est certain, le monde est fluctuant, raison de plus pour ne pas se laisser faire, pour l'égratigner de son écriture, pour le provoquer, semer de piquants les tapis de la convenance. La diariste n'aime pas le convenable, ni le convenu. Elle n'est pas dupe de ses attitudes mais ne verse jamais dans le cynisme, posture à la mode. Elle s'amuse beaucoup de sa carrière d'écrivain qui n'est pas toujours une partie de plaisir, s'étonne souvent de ce que sa « carrière » de mannequin pour artistes peintres lui inspire (cela lui a déjà inspiré d'ailleurs un très joli petit livre : La femme à modeler chez Naïve, où elle est d'ailleurs éditrice). Sentir grandir la vie en soi ne condamne pas à l'emphase ni au gnangan, n'interdit pas de parler de sexe (et parfois crûment), ne fait pas tourner le dos à une émotion qu'elle sait distiller avant de passer à autre chose (c'est l'avantage du journal, un jour chasse l'autre, certains sont bavards, d'autres discrets ou elliptiques). Il faut être doué pour garder sa pudeur en passant pour impudique, et ce talent, Emilie de Turckheim le possède.

Nous sommes curieux de voir ce qu'elle en dira lors de la rencontre prévue avec elle jeudi 4 décembre.

PS : l'enfant ne s'appellera pas Lorellou, on préfère le dire tout de suite.



David Vincent pour Ces mots-là, c'est Mollat