Antoine, Claude, Hervé, Gao, Qiu et les
autres
C'est une
règle, un dogme, un lieu commun : pas de Salon du Livre sans son
scandale et ses bruits de couloirs. Pour les « professionnels de la
profession », le parc des expositions de la Porte de Versailles fait office
de caisse de résonance, amplifiant l'écho des bruissements d'une corporation
d'ordinaire discrète.
Pour ce qui est du "scandale", c'est la non-invitation de Gao Xingjian, Prix Nobel Français d'origine et d'expression chinoises qui fait la une cette année. L'écrivain, n'a pas été officiellement invité au Salon. On connaît la susceptibilité des autorités chinoises en matière de protocole, peut-être faut il chercher là les raison de cet oubli. Auto-censure des organisateurs ? Pressions des services diplomatiques français ou réponse à une demandes expresse des officiels chinois encadrant leur délégation, c'est à une partie de patate chaude que se livrent les différents protagonistes de l'histoire. Le seul à conserver sa sérénité, c'est Gao lui-même, qui a indiqué ne vouloir chercher querelle à personne, la polémique n'étant pour lui que source de désagréments stériles : «Au milieu de tout ce fracas, je me suis dit : "Pourquoi me mêler à ça, ce serait stupide." C'est beaucoup plus agréable ici. Et puis, au Salon, il y aura trop de monde. J'aurais peur d'attraper la grippe.»
Voilà pour le mini-scandale. Les rumeurs elles, ne varient pas d'une année à l'autre. Elles concernent les manoeuvres de concentration : rachats, fusions ou prises de participations croisése qui remodèlent le paysage éditorial français depuis quelques années. Hachette, Vivendi Universal Publishing, Seuil, La Martinière : ces noms qui président à quelques uns des plus beaux catalogues éditoriaux qui soient au monde hantent depuis quelques mois les chroniques économiques qui relatent ce grand feuilleton de l'édition française à l'orée du troisième millénaire.
Et les chinois, dans tout ça
?
Tout ceci occulte quelque peu la véritable
raison d'être de ce Salon du Livre : offrir au public, six jours durant, un
panorama exhaustif et attrayant de ce que le livre fait de meilleur. Romanciers
à succès ou confidentiels, auteurs de BD, éditeurs de livres d'art, de revues,
expositions, débats, rencontres, signatures, remises de prix littéraires tout
est mis en oeuvre pour présenter le livre sous son meilleur jour.
Une des principales attractions de ces journées est bien sur la
découverte des littératures des pays invités. Cette année, diplomatie oblige, ce
n'est pas un pays qui est l'invité d'honneur, mais une langue : le chinois. Sous
la bannière des Lettres Chinoises vont donc se regrouper écrivains taïwanais,
hong-kongais ou de Chine continentale sans oublier les frères de la diaspora. Ce
ne sera pas une Chine, mais mille Chines qui seront donc à découvrir à Paris en
cette fin de semaine. Mille écritures qui disent les mille mondes qui les ont
vues naître, des buildings de Macao aux campagnes profondes, des universités
américaines à la nouvelle Chine de Hong-Kong.
La Chine (ou les « Chines ») et son paysage
éditorial unique au monde – près de 100 000 nouveautés paraissent chaque année
en Chine Populaire – sont donc depuis quelques semaines le pôle d'attraction de
la presse littéraire française. Ce qui nous donne à lire des suppléments
littéraires de grands quotidiens de très bonne tenue (Le Monde, Libération, Le
Figaro et leurs articles de fond), de nombreuses présentations d'auteurs chinois
dans les rubriques littéraires de la presse hebdomadaire et des numéros spéciaux
des revues spécialisées. Autre mérite de cette tradition du pays invité, le coup
de projecteur donné aux traductions d'auteurs invités. Chaque grande maison y va
de ses parutions qui nous font découvrir des écrivains que l'éloignement
géographique et culturel nous rends à l'ordinaire totalement étrangers. Témoin
et bénéficiaire de ce nouvel intérêt, le passionnant auteur de polar chinois,
exilé aux Etats-Unis, Qiu Xiaolong, que
nous recevrons le 24 mars à 18 heures et qui a su en seulement trois livres,
conquérir les libraires et le public français. Les libraires du rayon polar ne
tarissent pas d'éloges sur ces romans qui mêlent avec talent enquêtes
policières, exploration sociale et satire politique. A lire de toute
urgence.
On connaît évidemment mal la littérature chinoise. Il n'est reste pas moins que mathématiquement, la littérature produite par un pays de 1 200 000 000 habitants doit forcément receler quelques oeuvres de génie. A nous de les découvrir !