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Céline, jamais mort

Publié le 25/11/2007
Plus vivant que jamais, Céline ne cesse d'alimenter de son inlassable modernité la production éditoriale. Quelques très intéressantes nouveautés viennent opportunément nous le rappeler.

C'est peu de dire que Céline, longtemps après sa mort, dérange encore. Il n'y a qu'à observer les mines de conspirateur des clients qui viennent nous demander si nous n'aurions pas Bagatelles pour un massacre voire L'Ecole des cadavres en stock, à la cave, à l'abri des regards, comme si ces livres quasi impossibles à lire, sauf pour ceux qui se sont offert le luxe d'une édition ancienne hors de prix, gardaient intacts leur pouvoir de séduction et de subversion1. Il dérange et il réjouit aussi, si l'on veut bien renoncer à abandonner la caricature qui l'accompagne et se concentrer sur la Littérature dont il est, sans aucun doute, l'un des plus grands représentants pour le XX° siècle. On le lit, beaucoup, parfois trop vite car il réclame une attention soutenue, mais on ne l'écoute guère car les documents sur lui sont rarissimes. Les éditions Montparnasse réparent cette injustice grâce à Emile Brami, le spécialiste célinomane sous la direction de qui ont été rassemblés les entretiens de Céline avec Pierre Dumayet, avec André Parinaud et avec Louis Pauwels, l'extrait de l'auteur lisant un extrait de Nord, 11 mn incroyables enregistrées par la soeur de sa secrétaire Marie Canavaggia, auxquels s'ajoutent le témoignage d'Elizabeth Craig, son amour des années 30, et le documentaire de Bellon et Polac datant de 1969. Une mine d'or en somme où l'on découvre Céline dans sa masure de Meudon au milieu de ses chiens, où on l'entend raconter son Passage Choiseul de l'enfance, où on admire son cabotinage splendide de demi-clochard provoc, et où, il faut bien l'avouer on s'amuse beaucoup. Au sortir de ces quelques heures de visionnage, qu'une seule envie : le relire, le redécouvrir.

...Ou aller voir du côté des quelques nouveautés sur les tables de la librairie. On y trouvera, tout juste paru, la correspondance avec M.Canavaggia, sa secrétaire, son souffre-douleur (et par ailleurs superbe traductrice de Thomas Hardy ou John Cowper Powys par exemple, preuve d'un goût sûr) qui pendant un quart de siècle sera le bouclier maniable du vindicatif auteur de Denoël puis de Gaston Gallimard (voir sa Correspondance avec lui, un régal de mauvaise foi et de mauvaise humeur), relisant les textes, les épreuves, collectant les articles, affrontant le sens maniaque du détail de ce perfectionniste maladif, le soutenant comme personne pendant son exil danois. Les amateurs d'anecdotes en seront comblés, ceux de perfidies y trouveront leur compte, quant à ceux qui se passionnent pour les laboratoires de l'écriture, ils découvriront quelques secrets de ce forgeron des lettres.

Le Danemark, il en est question justement dans le livre d'un autre inconditionnel de Céline, David Alliot, qui sort deux ouvrages coup sur coup, le premier, un petit ouvrage (chez infolio, éditeur suisse) qui ose faire la synthèse sur l'œuvre et l'auteur et dans lequel le néophyte mais pas seulement lui, apprendra beaucoup de choses sur cet auteur qui, s'il est aussi important que nul ne le nie, ne possède pas le moindre nom de rue (à la différence de Paul Morand...). Le second ressemble à une enquête et nous permet de découvrir des aspects ignorés de la vie de Céline à Copenhague où l'avait mené sa fuite éperdue d'un château l'autre dans la caravane sinistre des collabos en débandade. Emprisonné, il attendait avec inquiétude une extradition qui lui aurait sans aucun doute valu une exécution, comme Brasillach. Mais les Danois préfèrent prendre leur temps et se refusent à envoyer à la mort quelqu'un qui n'a tué personne ; l'avocat de L.-F. C. est habile (voir la correspondance avec lui chez Gallimard) et contre les manœuvres poussives de l'ambassadeur de France. Toute cette aventure est "racontée" comme une enquête par Alliot qui fournit à l'appui de sa thèse des documents exceptionnels qui nous permettent de nous forger un début d'opinion.

On le voit, il y a encore beaucoup à dire et à écrire sur M. Destouches. Et on peut gager que ce n'est pas fini.

(1) Contrairement à une opinion répandue ces deux ouvrages ne sont pas interdits au nom d'une hypothétique censure mais "retenus" par l'ayant-droit qui ne souhaite pas les voir disponibles, position compréhensible qui tend malheureusement à diaboliser l'un et l'autre, rappelons que si effectivement L'Ecole des cadavres, paru en 1942 dans une collection antisémite officielle, est un livre vindicatif, débordant d'une haine farouche et tellement excessive qu'il en devient impressionnant (et avec des passages cependant parfaitement incroyables comme le récit de la débandade de l'armée française en 40), Bagatelles pour un massacre est paru avant la guerre (et dédié à Eugène Dabit mort durant le fameux voyage en URSS) et on ne peut lui faire le procès d'avoir prêcher la haine quand il n'a pas été écrit dans ce dessein : il s'inscrit, malheureusement, dans une triste tradition française d'antisémitisme qui a épargné peu d'écrivains et non des moindres, un antisémitisme que l'Histoire désormais nous rend encore plus odieux, un antisémitisme porté à une incandescence dangereuse par Céline. Mais là se pose un vaste débat...

Illustration : dessin de José Corréa