Claude B. Levenson étudie la linguistique, la philosophie, l'Inde et ses religions à l'Université Lomonossov de Moscou. Elle traduira, entre autre, Trotsky, Zamiatine et Eliade, ainsi que le XIVedalaï-lama. Elle devient interprète en Asie et en Amérique Latine, puis journaliste, signant des articles sur le Népal, le Cambodge, l'Inde ou la Birmanie dans Le Monde, Le Nouvel Observateur, Politique Internationale.
En 1984 elle se rend au Tibet et consacre depuis lors le principal de ses études à la cause tibétaine. L'ouvrage qu'elle consacre au dalaï-lama fait justement autorité *. Avec la dizaine de livres qu'elle écrit sur le sujet, elle reste fermement aux avant-postes du front de ceux qui dénoncent la marche inexorable de la sinisation de la région, et du véritable bouleversement aussi bien culturel, social et écologique qui s'ensuit.
L'opinion publique occidentale, principalement orientée par le cinéma hollywoodien ou un désir de spiritualité, est globalement favorable au Tibet ; mais c'est encore l'expression d'une autre misère très moderne, et impuissante, ici comme ailleurs, sans aucune espèce de conséquence sur des politiques extérieures qui rêvent à d'autres Eldorado.
Le Chinois peuvent du reste parler un langage assez universel : "pas d'ingérence dans les affaires intérieures !". On évoque, pour s'en affliger, une Realpolitik, qui sonne quand même un peu romantique ces temps-ci, souvenir d'anciennes souverainetés déchues par ce qu'on pourrait appeler, en germano-américain, Realeconomy. "La seule question raisonnable est de savoir qui est la maître", énonçait très raisonnablement Humpty-Dumpty. Et comme on comprend bien que la géostratégie est une affaire extrêmement susceptible, on pourra complaisamment biffer d'un trait de plume stalinoïde l'épisode tibétain d'une rétrospective Tintin, sous les cieux qui n'ont pourtant rien de communiste.
La philosophie de l'histoire, on la trouve comme en passant dans une dépêche de l'AFP du 21 septembre 2001 que rapporte Claude B. Levenson dans son dernier ouvrage : "La présence chinoise a enrichi la langue tibétaine, notamment par l'introduction du mot "démocratie" apparu en tibétain en 1959, lorsque les réformes démocratiques ont été lancées dans la région". N'est-ce-pas beau comme du Orwell? Certes il s'agit d'un commentaire rapporté de l'Agence Chine Nouvelle ... mais bien entendu, il s'agit également de l'Agence France-Presse.
Le destin réel du Tibet n'est somme toute qu'un fragment exotique de la destruction systématique de tout (biosphère comprise) qui se dissout dans la conscience hallucinée de ceux qui voudraient encore croire en quelque chose, mais sans plus en avoir la force.
André Frossard prête à Malraux la formule : "le 21e siècle sera religieux ou ne le saura pas".On sait pourtant que les massacres de masse des derniers siècles se sont perpétués préférentiellement au nom d'un Bien théologique qui n'a jamais dit son nom véritable mais toujours un autre à la place. Cette vérité historique s'exprime désormais jusqu'à la caricature, puisqu'on n'a même plus à user de la vieille phraséologie politique. Si l'on prétend jouer les oracles on dira donc plus sûrement qu'il n'est pas exclu que ce 21e siècle soit le dernier précisement à force d'être religieux, mettant ainsi un point final à la longue guerre contre la liberté devenue guerre contre le vivant.
La scène se passe au Tibet, c'est-à-dire partout.
Marie-Hélène Berthault
Le lecteur intéressé par le Tibet, sa culture, son devenir, pourra, à l'occasion de l'exposition au Musée Guimet du 5 novembre 2002 au 28 février 2003, se procurer et consulter Rituels tibétains : autour du manuscrit des visions secrètes du Ve dalaï-lama (1617-1682) et Lumière du Tibet un portrait en images du dalaï- lama, photos Alison Wright. Ces deux ouvrages seront bientôt disponibles sur mollat.com
Pour de plus amples renseignements à propos de Claude B. Levenson, on se réfèrera à son site web : www.claudelevenson.fr.st