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Clément Rosset : philosophe tragique

Une actualité de Lucas
Publié le 16/10/2019
Ce mois-ci sortent deux titres inédits de Clément Rosset, La joie est plus profonde que la tristesse. Entretien avec Alexandre Lacroix paru aux éditions Stock/Philosophie magazine éditeur ainsi que les Écrits intimes. Quatre esquisses biographiques, suivi de Voir Minorque paru aux éditions de Minuit. De quoi faire le point et de tenter, à travers une analyse sélective et chronologique de la production dense du philosophe français, de répondre à cette question simple : c’était qui ou plutôt c’était quoi Clément Rosset ?

     Ce mois-ci sortent deux titres inédits de Clément Rosset, La joie est plus profonde que la tristesse. Entretien avec Alexandre Lacroix paru aux éditions Stock/Philosophie magazine éditeur ainsi que les Écrits intimes. Quatre esquisses biographiques, suivi de Voir Minorque paru aux éditions de Minuit. De quoi faire le point et de tenter, à travers une analyse sélective et chronologique de la production dense du philosophe français, de répondre à cette question simple : c’était qui ou plutôt c’était quoi Clément Rosset ?

Clément Rosset, né le 12 octobre 1939 dans la Manche, c’est tout d’abord une entrée à l’École normale supérieure en 1961 soit à 22ans. Puis l’obtention de l’agrégation trois ans plus tard.

Mais c’est surtout en 1960 la publication de La Philosophie tragique édité aux PUF, ouvrage dans lequel il débutera ses réflexions sur le réel en tentant de nous donner des pistes d’action pour agir sur celui-ci. Réflexions qu’il, nous allons le voir, développera tout au long de sa vie. Il y explique, dans ce premier ouvrage, une chose fondamentale à sa pensée : la création d’un double du réel qui serait donc factice, superficiel, pour justement ne pas avoir à affronter le réel-vrai qui semble trop insupportable. Mais il ajoute aussi qu’il faut savoir regarder le réel avec joie. Voilà, dès ce premier ouvrage Clément Rosset pose les bases de ce qui sera sa pensée dominante, ce qu’il définit comme être un philosophe tragique.

     Les années 70 seront marquées par de nombreuses publications : Logique du pire publié aux PUF en 1971, L’Anti-nature aussi publié aux PUF en 1973, Le Réel et son double chez Gallimard en 1976.

Mais aussi Le Réel : traité de l’idiotie, paru aux éditions de Minuit en 1978. Dans cet ouvrage, Clément Rosset poursuit ses réflexions sur le réel. Il explique que l’homme doit accepter ce que les choses sont et non ce qu’elles devraient être. Il développe notamment l'idée que l’homme aliène le réel en y apposant des significations qui relèvent plus de l’imaginaire que de l’essence même des choses. Il faut donc vouloir le monde tel qu’il est. Lorsque que Clément Rosset parle d’ « idiotie » c’est au sens du mot grec idiôtès  qui signifie « particulier, unique » et cela pour parler du réel.

Un an plus tard, c’est la publication de L’Objet singulier encore aux éditions de Minuit. Il y évoque l’image du réel dans la philosophie et observe qu’on y dépeint un réel plutôt déprimant. Le réel, toujours d’après Clément Rosset, est inidentifiable, c’est un objet singulier sur lequel nous devons poser un regard stupéfait et cette stupéfaction nous apportera le bonheur.

     Les années 80 quant à elles sont marquées par trois publications. La première étant La Force majeure aux éditions de Minuit en 1983. Dans cet ouvrage Clément Rosset se pose véritablement comme philosophe tragique. Il effectue un retour à une pensée tragique afin de réconcilier l’homme avec le réel. Il développe l’idée que la jubilation face au réel permet cette réconciliation.

La deuxième publication est Le Philosophe et les sortilèges aux éditions de Minuit en 1985. Et la dernière étant Le Principe de cruauté en 1988 paru aux éditions de Minuit. Dans ce dernier, le principe de cruauté se rattache à la notion de tragique. Le philosophe nous explique qu’il faut réussir à s’accommoder du pire et pour cela il ne faut pas créer de double au réel et se contenter du réel celui-ci apportant la joie de l'existence. Il explique encore qu’il faut réussir à ajouter une dose d’incertitude dans toutes choses qui semblent gravées dans le marbre. L’incertitude nous permettant de déconstruire les idées fausses, celle-ci étant l’arme principale du philosophe.

     S’en suit logiquement les années 90 qui feront l’objet de quatre publications. Principes de sagesse et de folie aux éditions de Minuit en 1992 qui est écrit comme son titre l’indique sous forme de différents principes par lesquels le lecteur pourra s’identifier pour, encore et toujours, s’accaparer le réel.

En 1995 sort l’ouvrage Le Choix des mots aux éditions de Minuit dans lequel il établit une confrontation entre les artifices qui contribuent à l’élaboration du double du réel et des arguments visant à démonter ces artifices pour aller vers ce fameux réel. Il nous explique que nous pouvons aimer l’existence tout en étant dans le réel, en vivant dans le réel qui est certes cruel et difficile mais lorsque nous le regardons véritablement avec joie cela devient surmontable.

En 1997 c’est la sortie du livre Le Démon de la tautologie toujours aux éditions de Minuit. Un ouvrage de défense et illustration du réel. Un nouvel ouvrage pour une nouvelle tentative afin de dissiper l’illusoire sur un ton toujours un peu provocateur.

En 1999 avec la publication de deux titres Loin de moi aux éditions de Minuit et Route de nuit paru chez Gallimard s’inscrit une nouvelle forme chez le philosophe. En effet, avec ces deux titres il évoque les troubles cliniques assez particuliers qu’il a subi. Il nous parle de sa dépression non sans une note d’humour. La fin des années 90 nous font entrer dans une dimension plus personnelle de Clément Rosset, et cela toujours avec une joie exemplaire.

Notons aussi quelques parutions sur l’art qu’il a réalisées comme Mozart, une folie de l’allégresse aux éditions Mercure de France en 1990, ou encore Matière d’art : hommages paru en 1992 aux éditions Le Passeur. Et un ouvrage sur celui qui fut son professeur En ce temps-là – Notes sur Louis Althusser paru aux éditions de Minuit en 1992.

     Et enfin les années 2000. En 2001 parait Le Régime des passions aux éditions de Minuit qui est un recueil de textes évoquant, à travers plusieurs figures littéraires, l’amour comme n’étant pas le sentiment exemplaire que nous pourrions imaginer car il renvoie à une quête de l’irréel, de l’absent, de ce qui n’est pas là.

En 2004, c’est la sortie d’Impressions fugitives : l’ombre, le reflet, l’écho aux éditions de Minuit. Essai donc sur l’ombre, le reflet et l’écho que la réalité projette. Il emploie de nouveau une figure qu’il aime convoquer, celle de l’ivrogne car celui-ci voit le monde tel qu’il est, en double. Il voit le réel et son double. Clément Rosset va traquer ces ombres, reflets et échos. Il nous explique que rendre le réel à son insignifiance c’est rendre le réel à lui-même, car le réel est idiot, toujours dans le sens grec où Clément Rosset l’entend c’est-à-dire « particulier, unique » Le philosophe adopte une vision assez pessimiste afin d’entrainer un amour de l’existence.

En 2006 sort les Fantasmagories aux éditions de Minuit. En 2008 toujours aux éditions de Minuit sort L’École du réel dans lequel il poursuit la chasse aux faux semblants sans jamais tomber dans le moralisme qu’il caractérise comme un outil de l’illusion qui créé le double du réel car le moralisme empêche la remise en cause, le doute. Clément Rosset emploie comme à son habitude l’argument du tragique non sans y ajouter de l’humour et surtout en évitant tout jargon qu’il a toujours réussi à ne pas employer tout au long de ses nombreuses publications. Il convoque ici aussi la littérature, le cinéma, la musique car ils n’expriment rien d’autre qu’eux-mêmes et ne sont pas garants du mensonge.

Toujours à la même année parait aussi aux éditions de Minuit La Nuit de mai petit ouvrage qui axe une réflexion sur le désir.

En 2012, c’est la sortie de deux ouvrages aux éditions de Minuit Récit d’un noyé, ainsi que L’invisible. Le premier évoque les hallucinations subies par le philosophe suite à son coma provoqué par une noyade sur l’île Majorque. C’est donc un prétexte pour remettre sur le devant de la scène la philosophie de l’idiotie. Livre fort, toujours marqué d’une touche humoristique distincte du philosophe qui nous donne à réfléchir et à rire du réel afin de mieux vivre. Le second est un essai sur l’invisible, sur le fait de voir et entendre ce qui est invisible. Il prend l’exemple de la radio, on l’entend, on s’imagine, on se représente les sons, on créé donc un dédoublement entre quelque chose d’invisible mais bien vrai et notre représentation fausse de cet invisible que l’on tente de rendre visible. Puissante réflexion qui dérivera sur la musique.

     Voilà Clément Rosset, c’est un peu tout ça, et surtout beaucoup plus que cela. Nous n’avons pas évoqué les quelques ouvrages que Clément Rosset a rédigés sur le philosophe Arthur Schopenhauer qu’il avait découvert très jeune, ainsi que ses écrits sur le cinéma (Propos sur le cinéma, aux éditions PUF) et quelques autres encore sur le bonheur (notamment L’Endroit du paradis paru aux éditions Encre Marine en 2012). 

Clément Rosset meurt le 27 mars 2018, rattrapé par le réel laissant une œuvre philosophique dense, joyeuse, marginale et surtout incomparable si ce n’est qu’à elle-même.



Photo de couverture  La joie est plus profonde que la tristesse. Entretiens avec Alexandre Lacroix, éditions Stock/Philosophie magazine éditeur,  ©Gérard Rondeau/Agence VU' (détail)

Bibliographie