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Djalâl al-dîn Rûmi

Publié le 08/04/2003
La parution du magnifique ouvrage aux éditions de l'Éveil sur Djalâl al-dîn Rûmi - Roumi par le texte et par l'image - est l'occasion rêvée d'évoquer ce grand poète persan qui fut à l'origine de l'une des plus célèbres confréries soufies : les derviches tourneurs.

Il était un beau verger, en habit de verdure,
Avec de nombreux arbres, des vignes
Et tout plein de fruits...
Un Soufi s'assied là, les yeux clos,
La tête sur le genou, plongé dans une profonde
Méditation mystique...
"Pourquoi" dit un autre,
"Ne prêtes-tu pas attention aux signes
Que Dieu le Charitable a déployés autour de toi
Et qu'Il nous invite à contempler?"
"Les signes je les contemple en moi;
A l'extérieur, on ne discerne que les symboles!"

Qu'est-ce que la beauté dans ce monde?
Une image, pareille à l'ondulation
Des branches dans l'eau de la rivière:
Celle de l'éternel verger qui réside,
Intact, dans le coeur
Des Hommes Parfaits...

Rûmi, La Vérité parmi nous

Au XIIIe siècle, l'Asie centrale est largement islamisée tandis qu'à l'ouest les croisés conquièrent Constantinople (1204), signant ainsi la fin de l'empire byzantin. Au sein de l'empire musulman, les dynasties turques et persanes ont éclipsé les dynasties arabes, mais déjà Gengis Khan et son armée venue de Mongolie frappent aux portes de l'empire.

Djalâl al-dîn Rûmi naît en 1207 dans la grande cité de Balkh, ville située dans le Khorassan au nord-est de l'Iran actuel.  Son père, théologien et prédicateur était considéré comme le plus grand savant de l'Islam, nommé sultân ul-Ulamâ , "sultan des savants". N'adoptant pas les idées du savant Farredin Razi, homme influent auprès du sultan et les mongols s'apprêtant à envahir la région, Bahoddin, sa famille et ses disciples partirent pour La Mecque puis en Anatolie. Ils s'installèrent à Konya, capitale de l'empire turc des seldjoukides, sur l'invitation du sultan, ami des arts et des sciences. Là, Bahoddin prit la direction d'une medersa (école intégrée à une mosquée). A sa mort, deux ans plus tard, ses nombreux disciples se regroupèrent autour de son fils Rûmi considéré déjà comme un grand savant, et nommé mawlana , "notre maître".

Rûmi devint durant neuf années le disciple d'un ancien élève de son père, Burhaneddin Tirmidhî, qui l'incita à poursuivre sa formation à Alep ainsi qu'à Damas où il fit certainement la connaissance du vieux soufi andalou Ibn Arabi. Puis il revint à Konya où il succéda à son père comme professeur de Fiqh et de Shari'a.

La rencontre de Rûmi en 1244 avec Shems eddin Tabrizi, un derviche errant (derviche vient du mot perse derves signifiant " mendiant ") installé dans le souk des marchands de sucre va bouleverser l'existence de cet austère théologien : " Ce qui se passa entre ces deux hommes, cette communion, cette extase et cette joie, défie l'explication et reste un mystère ". Ce mendiant au caractère imprévisible, prônant l'évasion, la transgression des interdits et l'abandon des conformismes, va durant trois années apprendre à Rûmi à délaisser ses livres pour chercher à atteindre Dieu par le seul amour. Shems fut assassiné mystérieusement, sans doute par des disciples jaloux de son ascendance sur leur maître Rûmi. S'ensuivit pour ce dernier une période de grande tristesse qu'il exprima dans de nombreux poèmes et plus tard dans le recueil Divan de Shems-i Tabrizi (trad. franç. E. de Vitray-Meyerovitch, avec la collab. De M.Mokri).

Puis Rûmi fit la connaissance d'un bijoutier, Salahadin Zerkoubi : un jour, alors qu'il traversait le souk des batteurs d'or, il fut ému par le bruit du marteau frappant le métal ; croyant entendre une invocation au nom d'Allah, il se mit à danser au milieu du bazar. Cette danse devint par la suite le rituel de ses disciples : les " derviches tourneurs ".

Enfin il rencontra Celebi Husameddin , qui assistera son maître jusqu'à la fin de sa vie. C'est à Husameddin, alors que ce dernier l'incitait à écrire une oeuvre que ses disciples pourraient étudier que Rûmi remit un feuillet tiré des plis de son turban contenant les dix-huit premiers distiques du Mesnevi* (du nom d'une forme poétique composée de distiques). Par la suite, Rûmi dicta à toute heure du jour et de la nuit ce qui devint ce formidable ouvrage didactique composés de 25000 vers environs et divisés en six livres. Considéré comme un commentaire du Coran, le Mesnevi ne fut pas seulement étudié dans les confréries mais aussi dans les mosquées.

Rûmi écrivit des ghazals (odes mystiques) ainsi que de fameux Quatrains (Rubâi'yât). Il nous laissa aussi des oeuvres en prose dont le Fihi-ma-fihi (Le Livre du Dedans) : cet enseignement légué ainsi par Rûmi provient d'entretiens avec ses disciples qui lui posaient des questions et auxquelles il répondait, parfois sous forme de petites fables. Cette caractéristique explique son style simple et sa forme apparemment décousue.

Le soufisme fut souvent décrié pour son penchant pour les arts et tenu à l'écart par l'Islam orthodoxe, et du fait de l'importance qu'il donnait à la musique, Rûmi fut certainement l'un des plus critiqués. Il s'est cependant toujours défendu de faire de l'art pour l'art, se voulant avant tout un maître spirituel. Il institua le Samâ, oratorio spirituel, qu'accompagne la danse tournoyante imitant la ronde infinie des planètes : " Se fondant sur la " correspondance " du microcosme et du macrocosme, il représente, d'une part, la ronde céleste des planètes autour du soleil et, d'autre part, la quête du Soi suprême par les âmes séparées. Le chant de la flûte, le ney, qui prélude aux séances de samâ, exprime la nostalgie de cet exil d'être loin de la patrie spirituelle qui est son origine et sa fin ". Ce concert sacré est une invocation divine dont le répertoire vocal est transmis de muezzin en muezzin et dont le rituel immuable débute par la récitation du Coran en rythme libre. Elle tend à rechercher le sens caché du Coran en traduisant cet élan de la piété mystique par la danse. Quant aux vêtements des derviches tourneurs, chaque partie relève d'une symbolique bien précise : " Leur haute toque de feutre représente la pierre tombale, leur robe blanche le linceul, et le manteau noir qui les enveloppe le tombeau, dont ils doivent surgir pour une nouvelle naissance ".

En 1273, Rûmi meurt à l'âge de 66 ans en laissant derrière lui une nouvelle voie soufie dont son fils achèvera le rite et qui se propagera dans tout le monde musulman.

Isabelle Soulié

Bibliographie