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Le questionnaire pour auteurs confinés #4 Gaëlle Nohant

Publié le 01/05/2020
Sylvie Hazebroucq a conçu un questionnaire que nous avons soumis aux auteurs, confinés comme tout le monde. Entre état d'âme et état des lieux ils nous parlent de leur vie d'aujourd'hui. Cette semaine Gaëlle Nohant
Le questionnaire pour auteur confiné de Sylvie Hazebroucq pour la librairie Mollat
#4 Gaëlle Nohant

1. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? 
Faire une grande fête en plein air avec mes proches et tous mes amis, et pouvoir les embrasser. Danser toute la nuit.

2. Quel est le temps fort de vos journées en ce moment ? 
En général, ce sont des moments que je partage avec ma fille : une conversation à bâtons rompus, un fou-rire, un bon film qu’on regarde ensemble le soir venu. Un bon repas qu’on a cuisiné ensemble.
Ils sont parfois inattendus : une conversation téléphonique avec une amie chère, une rencontre littéraire live qui se révèle plus émouvante que prévu, et qui me galvanise.

3. À quel récit littéraire vous fait penser le mot confinement ? 
Au "testament espagnol", de Koestler. Même s’il me paraît déplacé de comparer mon confinement, assez confortable et paisible, avec l’emprisonnement de Koestler pendant la guerre d’Espagne ! Mais je pense souvent à ce livre que j’ai lu récemment, à cet homme condamné à vivre suspendu, au présent, dans l’attente d’une condamnation à mort chaque jour repoussée au lendemain, et qui se découvre des ressources intérieures insoupçonnées. Que sa solitude et sa réclusion relient plus que jamais à l’humanité qui l’entoure.

4. Dans quel livre aimeriez vous être confinée ? Avec quel (s) personnage (s) ?
Elizabeth Bennett, d’"Orgueil et Préjugés". Se moquer des gens arrogants et des prétendants désastreux, aller faire de longues promenades (à distance réglementaire) dans la campagne et revenir trempées par l’averse, se réchauffer au coin du feu et parler de la vie et des romans.


5. Dans quelles circonstances vous viennent vos grandes idées ? Regrettez-vous vos grandes idées quand vous les appliquez ? 
Quand je marche longtemps à travers la campagne. Ce qui ne m’arrive plus en ce moment, confinement oblige ! Elles viennent par flashes, par « bouffées ». En général ce sont de grands projets de romans dignes de David O Selznick. Comme ressusciter 10 ans de la vie de Robert Desnos, 3 époques de Paris, avec une foule de figurants célèbres… Je les regrette en général quand ça se concrétise et que je rentre dans le dur de l’écriture. Lorsque je réalise l’ampleur du défi et que je commence à penser : « je n’y arriverai jamais ! »

6. Quelles odeurs vous font chavirer ? 
Le pétrichor (odeur de la terre après la pluie), les parfums du figuier et des pins parasols. Celui de la peau des bébés.  L’odeur du feu de bois, qu’on retrouve dans la nature à l’automne. Mais aussi, plus mystérieusement, l’odeur du pressing !

7.Quel souvenir vous rassure ?
Les souvenirs de vacances, en Bretagne ou au fond des vignes. Enfant, j’avais le privilège de passer un mois dans les Pyrénées orientales, et un mois au bord de la Manche ( pour visiter les deux côtés de ma famille)
Le bruit du ressac, les après-midi qui s’étiraient dans la lumière de juillet, sur la plage, à me baigner, et ensuite me sécher sur la plage en écoutant papoter mes oncles et tantes, bâtir un château de sable avec les petits et le défendre contre la marée. Les apéros crevettes-beurre salé. L’odeur caractéristique de la cuisine où s’affairait ma grand-mère. Les vendanges, les montagnes de l’Albère coiffées de neige dans le bleu du ciel.
Ces souvenirs me rappellent que tout ça n’a pas disparu, que ça existe. Comme l’enfance. Cette liberté, cette insouciance-là. Mon père était en vie, comme mes grand-mères aujourd’hui disparues. Me souvenir d’eux me rappelle en quoi je leur ressemble, ce qu’ils m’ont transmis. Et me donne envie de contempler la nature en toute liberté.

8.Qu’est-ce qui peut vous rendre dépendant? êtes-vous, par exemple, menacé d’addiction actuellement ? 
Je pourrais devenir dépendante d’un verre de vin chaque soir, en ce moment. De cette détente, de ce petit côté festif dans une période où tous les jours ont une fâcheuse tendance à se ressembler. Je me force donc à ne prendre d’apéro que le  week-end ! 

9. Une émotion vous submerge : quel endroit de votre corps trinque le plus ? Comment ? 
Tout commence dans le ventre. Plus ou moins agréablement selon si c’est une émotion agréable ou non. Même l’amour commence là. L’angoisse aussi.

10. Quel geste ou mouvement effectuez-vous tout le temps sans vous en rendre compte ? Pourquoi faire ? Est-ce que ça marche ? 
Je marche en long et en large. En particulier quand je réfléchis. Mon esprit a besoin de ce rythme de la marche pour fonctionner. Donc, marcher, ça marche. Mais ça marche bien mieux quand je peux le faire dans la nature, sans regarder ma montre, ni vérifier sur mon GPS que je ne me suis pas trop éloignée de chez moi ! 

11. Qu’êtes-vous susceptible de faire quand vous perdez le contrôle ? cochez la ou les bonnes réponses : 
allumer une cigarette | fermer longuement les yeux |réviser les gros mots que vous connaissez | dire n’importe quoi si possible très fort |exécuter une figure de yoga quel que soit le lieu où vous vous trouvez |nommer calmement les raisons de votre énervement | passer compulsivement des coups de téléphone | jeter ce qui se trouve sous votre main | effectuer des tâches ménagères | regarder des séries successivement | boire un remontant avec une personne douée d’une écoute reposante | faire du sport | vous isoler | lire un livre .
à qui avez vous piqué ce geste et depuis quand ? 

J’allumais une cigarette chaque fois que j’étais dépassée, en panique, ou très en colère. Comme je n’en achète plus, je ne peux plus le faire. Du coup maintenant, j’appelle des amis proches, ou ma mère, pour exprimer ce qui me mine ou me met en rage. Les appels téléphoniques, je tiens ça de ma mère. Je l’ai toujours vue faire ça. Pour les bonnes comme pour les mauvaises nouvelles !

12. Citez une de vos caractéristiques que vous aimez et détestez à la fois ? en quoi ?
La façon dont je doute en permanence de ma capacité à écrire, à mener les batailles nécessaires à ma vie. Je pense que ce doute fondamental me protège efficacement contre toute tentation de vanité. Et en même temps, c’est d’un inconfort absolu ! Comme si je ne pouvais jamais m’appuyer sur les livres déjà écrits, les petites batailles déjà remportées. Et qu’à chaque fois je repartais de zéro, avec une confiance très limitée en mes capacités.

Comment vivez-vous vos contradictions en général ?

J’essaie de m’en accommoder mais par exemple, le fait d’être quelqu’un qui doute sans arrêt d’elle-même et de n’avoir que des projets de romans un peu mégalo, ou en tout cas d’une ambition folle, me fabrique des gastrites et des insomnies. Je suis une trouillarde qui aimerait en permanence être rassurée, pourtant j’ai choisi de vivre une vocation qui est précaire et incertaine par essence. Bref, ce n’est pas simple !

13. Quelle lecture vous console ? Précisez.
Il y a des voix d’écrivains qui me consolent, par leur chaleur, leur humanité. Celle de Desnos, par dessus toute. Sa poésie a toujours eu cet effet sur moi. Des poèmes comme Chant pour la belle saison, par exemple : « Je chante ce soir non ce que nous devons combattre
Mais ce que nous devons défendre ». Il y énumère tout ce qui ne devrait jamais nous être enlevé : le feu en hiver, les plaisirs de la vie, le sommeil sans réveil en sursaut… et la dignité. Ou Le veilleur du pont au Change, où on trouve ces vers si beaux :
« Nous ne vous parlons pas de nos souffrances mais de notre espoir,
Au seuil du prochain matin nous vous donnons le bonjour,
À vous qui êtes proches et, aussi, à vous
Qui recevrez notre vœu du matin
Au moment où le crépuscule en bottes de paille entrera dans vos maisons. »

Longtemps, j’ai cru qu’il les avait composés pendant la Libération de Paris. Mais c’était au cœur de l’angoisse, dans un Paris occupé où il pouvait être arrêté à tout moment. Son aptitude à la joie, son optimisme clairvoyant me consolent, oui. 

14. Qu'écrivez-vous en ce moment ? un extrait ? 
Quelques lignes dans mon journal.
un extrait ?
« Habiter ce présent inconfortable et le vivre pleinement, sans rien refuser de ce qui vient. Sans savoir ce qui en découlera. En pressentant que le roman que je projette en sortira changé. Peut-être deviendra-t-il obsolète, devra subir une mue, renaître autrement.
Cette épidémie pose la question du hasard. Pourquoi certains sont-ils frappés, d’autres épargnés ? Et aussi de la fragilité de nos vies. De leur extrême fugacité. De l’urgence d’en faire quelque chose qui nous ressemble. Qui ne soit pas juste une fuite en avant. »


15. Comment écrivez-vous en ce moment ?
Mal. Et je dois me forcer. Impossible d’écrire de la fiction, pourtant j’en rêve. Ce serait une manière d’échapper au confinement. De m’en évader. D’aller visiter d’autres vies. 

16. Quel genre de littérature correspond à votre sommeil ?
Le roman noir et les thrillers. Je fais surtout des cauchemars, toutes sortes de cauchemars. D’une cruauté subtile, raffinée ou grossière. Et de temps en temps, le réveil m’arrache à un rêve de souhait, une histoire d’amour qui démarrait très bien, digne d’un roman de James Baldwin. Mais mon ordinaire, c’est plutôt Stephen King, ou Laura Kasischke !

17. Avez-vous une question récurrente ou tout à fait liée à la situation ? laquelle ? d’où vient elle ? 
La question récurrente qui me réveille la nuit est : « Qu’est-ce que je vais faire demain, si les gens ne lisent plus ? » Elle revient plus fort en ce moment, forcément.
d’où vient elle ?
J’ai décidé d’écrire à huit ans. C’est une vocation quasi monastique, dont la force a tout balayé sur son passage. Je n’ai pas pu me ménager un plan B, et ça engendre une angoisse forte qui ressurgit en ce moment, parce que je réalise encore mieux à quel point je vis en funambule, sur un fil qui tangue au gré du vent. Et que je dois regarder devant moi, et garder confiance, pour ne pas tomber.

18. Si internet disparaissait, à qui écririez vous une lettre ? que dirait elle ?

J’écrirais à un vieil ami à moi qui vit confiné seul chez lui, et qui a tendance à broyer du noir. J’essaierais de le faire rire en lui racontant des anecdotes. Je lui rappellerais qu’il ne peut pas se laisser abattre, lui qui a survécu à ce qui aurait dû le briser. Qu’il doit ménager ses forces, sa vivacité d’esprit, sa férocité. Ne pas se laisser abattre. Parce que demain, ou après-demain, on ira boire un pot en terrasse à Paris, comme au bon vieux temps. On sirotera un de des cocktails dont il raffole, et il me racontera quelques souvenirs de sa vie extraordinaire.


19. Avez vous un échange sous forme de correspondance avec quelqu’un actuellement ? que vous apporte cette écriture-lecture ?
Pas vraiment, même je garde des liens réguliers avec certains amis chers, par mail ou par téléphone. Mais j’ai récemment repris l’écriture d’un journal que je tiens sporadiquement, depuis des années.


20. Comment vivez-vous l’interdit en général ? Aujourd’hui précisément ?
Avec une forme de vigilance. Je me plie à toutes les contraintes du confinement, pour protéger les autres et me protéger du virus. Mais je me méfie des mesures exceptionnelles qui deviennent pérennes et finissent par grignoter nos libertés, nos droits. Je crois qu’il faut être vigilants. 


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