Orhan Pamuk est aujourd'hui âgé de cinquante-quatre ans. Né à Istanbul en 1952, au sein d'une famille aisée et francophile, ancien élève du Robert Collège, le lycée américain de sa ville et architecte de formation, il a décidé, à l'âge de vingt-trois ans de se consacrer à la littérature.
Sept ans après ce choix radical, il publie son premier roman, Cevdet Bey et ses fils , encore inédit en France. En quête de beauté littéraire, il définit son écriture d'alors comme nabokovienne.
Pourtant, de ce monde onirique surgissent bientôt les fantômes du présent.
La maison du silence est le premier livre qu'Orhan Pamuk publiera en France. Roman de la Turquie moderne qui met en scène dans un petit port turc, une très vieille femme et ses trois petits enfants dans lesquels on reconnaîtra sans peine l'image des tenants d'une certaine Turquie moderne de l'intellectuel désabusé au jeune loup, businessman aux dents longues en passant par la jeune militante idéaliste. Cent ans d'histoire turque résumés en un seul été
L'impressionnant Livre noir, édité lui aussi par Gallimard, qui demeurera son éditeur français, relate la quête désespérée d'un homme à la recherche des deux êtres le plus essentiels à sa vie : son épouse et son frère spirituel, journaliste épris de mystique soufie. Au travers d'une errance hallucinée dans une Istanbul bien éloignée des clichés touristiques, boueuse, enneigée, urbaine et parfois souterraine, c'est à une visite de l'inconscient stambouliote que nous invite Pamuk. Mêlant la modernité urbaine la plus internationale, de belles digressions sur Mevlana (Rûmi en Perse), poète soufi, délires paranoïaques sur le sens cachés que recèlent certains visages et visites d'une Istanbul cauchemardée, Le livre noir évoque irrésistiblement un pendant oriental de l'Ulysse de James Joyce. Un livre énorme et magnifique.
Le château blanc fera découvrir aux français un Pamuk amateur d'histoire. Sur une trame qui n'est pas sans évoquer les romans d'Umberto Eco, le lecteur suivra les pas d'un jeune aventurier italien qui pour échapper aux galères turques se prétendra astronome et médecin. Offert comme esclave lettré à un hodja (lettré). La rencontre des deux hommes sera une fois de plus l'occasion pour l'auteur de faire dialoguer deux cultures dans une mise en abyme à l'humour noir réjouissant.
La vie nouvelle qui renoue avec le roman moderne est, à l'instar du Livre noir, une roman de la disparition. Où Osman, des années durant, recherche ses amis Djanan et Mehmet. On y traverse une Turquie moderne et archaïque, pleine de sectes et de complots en compagnie d'un jeune homme dont la quête n'est pas seulement amoureuse, mais bien spirituelle, comme il finira, à regret, par le comprendre.
Retour à l'histoire et aux grands thèmes qui jalonnent l'œuvre d'Orhan Pamuk avec Mon nom est rouge. A travers ce qui semble une bataille d'érudits sur la question de l'influence occidentale dans les règles de composition des miniatures peintes, se joue en réalité la naissance d'un empire ottoman moderne. Nous sommes en 1591, c'est un cadavre qui nous parle et nous conte la guerre qui oppose les miniaturistes fidèles aux préceptes de composition excluant la ressemblance humaine aux tenants d'une modernité réaliste, chargés par le Sultan d'illustrer un manuscrit d'ornements à la manière italienne. Une nouvelle et habile métaphore de l'affrontement Orient – Occident qui semble caractériser l'histoire turque. La forme polyphonique que prend ce récit quasi policier est également remarquable où chaque protagoniste possède sa voix et sa vérité. Un autre chef d'œuvre.
Neige est le dernier roman d'Orhan Pamuk paru en France. Plus ouvertement politique que ses prédécesseurs, il raconte l'enquête que mène Ka, un jeune poète turc de retour d'exil pour le compte d'un journal d'Istanbul, au sujet d'une vague de suicides de jeunes filles. Pamuk met ici pour la première fois en scène les forces en présence dans la Turquie moderne. Fondamentalistes musulmans, politiciens corrompus, policiers aux pratiques douteuses jouent entre eux le destin d'une population partagé entre traditions et désir d'émancipation. Le génie d'Orhan Pamuk consiste à voir ces évènements à travers le regard halluciné et poétique du jeune poète qui oublie bien vite sa mission journalistique…
C'est lors d'une interview donné à l'occasion de la parution de ce roman qu'Orhan Pamuk a ouvertement critiqué l'attitude des institutions turques à l'égard du génocide arménien et la « sale guerre » que l'armée turque mène au Kurdistan. Critiques qui lui ont valu une inculpation pour insulte à la nation turque et le soutien de toute la communauté littéraire internationale.