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Trois lettres centenaires : la N.R.F

Publié le 17/02/2009
NRF. Cent ans que ce sigle obsède la littérature, objet de haine ou d'admiration, de jalousie ou de fascination.
D'emblée, pour bien marquer leur différence face à l'histoire, les fondateurs de la N.R.F. imaginèrent non pas un mais deux premiers numéros de leur revue. Le premier, sorte de numéro zéro (mais le concept était inimaginable en ces temps où même l'idée de marketing n'existait pas), fut suivi d'un vrai numéro 1. Fiers de leur mémoire, les éditions Gallimard d'aujourd'hui, lointains héritiers (et pourtant la ligne est directe), font reparaître ensemble les fac similé  de ces raretés, visant les collectionneurs et les amateurs éclairés de littérature. Sans oublier que dans deux ans, c'est la maison Gallimard elle-même que l'on célèbrera.

L'idée de se lancer dans une « revue mensuelle de littérature et de critique » revient à un groupe de six écrivains emmenés par André Gide qui est considéré comme l'âme du groupe. A eux six, ils vont mettre en place un modèle qui va s'imposer par sa modernité, son souci de suivre les tendances, de les anticiper, de s'intéresser au roman sans négliger la poésie, le théâtre, la critique et les arts, de n'écarter aucun courant majeur permettant à des voix souvent opposées de s'affronter en se respectant. Car c'est une des grandes force de cette revue d'avoir su ne pas être l' « organe » d'un mouvement dans une période qui allait être riche en tensions et en affrontements idéologiques. C'est Jacques Rivière qui la fera grandir avant de disparaître prématurément, puis Jean Paulhan avec l'autorité que l'on sait, avec un épisode Drieu La Rochelle pendant l'occupation. La maison d'édition de la NRF naîtra bien sûr de cette revue et sera placée très vite sous la responsabilité de l'industrieux et habile Gaston Gallimard qui y lance Paul Claudel ou Saint-John Perse. Après la guerre pendant laquelle Gallimard a fait preuve d'un sang froid incroyable, permettant les activités éditoriales sans se compromettre, Paulhan, secondé par Marcel Arland, lui redonnera son lustre, émoussé par l'épisode 40-43, sous le nom de « Nouvelle Nouvelle Revue Française » dès 1953. Leur succèderont Georges Lambrichs puis toujours aux commandes Michel Braudeau : désormais la revue est trimestrielle.

Cent ans c'est bien entendu plus que jamais le moment de se demander comment une telle longévité est-elle possible. On ne voit guère que la Revue des Deux Mondes pour lui disputer la prééminence en matière de durée. S'il fallait trouver une explication, on serait étonné par la solidité et la simplicité de la réponse : de la Littérature avant toute chose… La religion, la politique, l'idéologie, les castes, la morale, les mœurs, la mode, rien ne vient s'opposer à la libre expression d'écrivains qui découvrent année après année l'importance de cette liberté et son luxe : « peu importe, écrit Alban Cerisier, qu'elle soit considérée comme un don ou un effort, une aptitude ou une discipline, l'effet d'une grâce ou d'une règle conventuelle librement choisie. Seuls comptent l'intensité d'écriture  et son pouvoir de révélation, cette singularité dans l'ordre de la connaissance et du discours qu'on lui accorde, au-delà de toute doctrine et « préoccupation » qui la limiterait. Que l'on vienne à mettre en cause cette autonomie, et c'est tout l'édifice qui s'effondre. » Et pour citer Jacques Rivière : « Un lieu d'asile, imprenable, ménagé pour le seul talent, le seul génie, s'il veut bien se montrer. ». Ambitieux programme qui permit l'éclosion de talents  impressionnants au risque d'échecs ou de chute de rythme. Et explication claire de sa capacité à attirer en son sein tous ceux qui comptaient ou voulaient compter, prêts à supporter le voisinage d'ennemis pour exister et survivre. On souhaite juste à cette idée de la littérature de continuer pendant au moins un siècle…



Couverture du n°1 de la Nouvelle Revue Française
(1909)
Source : Wikipedia