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Un continent littéraire : la Scandinavie (partie 2)

Publié le 15/03/2011
Succession d'âge d'or, comme les sagas, ou de vide (pendant la Réforme), la littérature scandinave atteint son zénith à la fin du XIX° avec trois très grands noms.
La « Genombrott », cette expression mystérieuse, renvoie à une période cruciale de la vie des lettres scandinaves : la « percée moderne » va révéler au monde entier la puissance d'une pensée associée à un élan littéraire unique. De 1870 à 1890, trois grands noms s'imposent : Ibsen le Norvégien, Strindberg le Suédois, et Jacobsen le Danois (on aura la pudeur de ne pas évoquer le cas du grand philosophe « existentialiste » danois, Soren Kierkegaard...) Au coeur d'une société traditionaliste qui étouffe de conformisme, coincée dans ses vieilles peurs, cadenassée par une religion austère, parangon des valeurs bourgeoises les plus veules qui condamnent à l'exil les esprits libres, des voix se font entendre, parfois loin de leur patrie (Paris accueillera les plus grands noms, en littérature mais aussi dans les arts) pour remettre en cause, violemment, l'ordre établi et radicaliser une écriture face à l'hypocrisie et l'injustice souvent nées d'un luthérianisme omniprésent. Les questions sociales deviennent des points d'ancrage, la condition de la femme, les rigidités de l'éducation, la politique cessent d'être des sujets tabous et on accepte enfin de considérer les progrès de la Science. Bref, une véritable période des Lumières à retardement.

Le premier des génies vient du Danemark et c'est lui qui aura le destin le plus bref : Jens Peter Jacobsen, mort à 38 ans en 1885 phtisique, déploie dans ses deux grands livres une vision du monde crépusculaire : Marie Grubbe dépeint une femme qui lutte pour son émancipation, affrontant des conventions accablantes. Le propos de ce livre brûlant : « L'être humain est un animal à la fois minable, redoutable et admirable ». Avec Niels Lyhne c'est la mort qui plane sur des amours enfuies. Le héros, brisé, réapprendra à vivre seul, supportant le poids d'une mort qui se profile et qu'il accepte.

August Strindberg (1849-1912) a droit de nouveau depuis quelques années aux faveurs du lectorat français. Il faut dire que ses fureurs n'ont rien perdu de leur mordant. A la croisée des courants naturalistes et expressionnistes mais figure solitaire difficile à classer, il est certainement l'un des grands rénovateurs du théâtre et un romancier marquant. A l'origine, comme il le raconte dans ses livres autobiographiques, rassemblés dans deux superbes volumes par le Mercure de France, il y a le poids terrible d'une religion hyper-coercitive qui fait vivre dans la culpabilité permanente. C'est un homme en lutte qui se construit par le travail, parfois douloureux de l'écriture. C'est un homme qui ne cesse de lutter dans son quotidien et notamment avec ses femmes qui donneront lieu à des textes d'une violence impressionnante. Il honnit le mariage comme une institution débilitante, il vomit la famille pour en avoir éprouvé l'intime horreur. Sa rencontre avec l'œuvre de Nietzsche est déterminante, même si, comme il le fera avec bien des amis et alliés, il s'en éloigne, tourmenté par un mysticisme qui l'étouffera à son tour. Le succès lui vient avec La chambre rouge, un roman, mais c'est avec le théâtre qu'il conquiert un vaste public. Depuis Mademoiselle Julie jusqu'à La sonate des spectres en passant par La danse de mort, il enthousiasme un public déjà emballé par Ibsen.

Le Norvégien est effectivement le plus connu des trois, peut-être aussi le plus accessible et celui qui a le mieux franchi le siècle. Henrik Ibsen (1828-1906) a mis du temps à se tailler la place d'envergure qu'il occupe dans le panthéon de son pays. C'est à près de 40 ans qu'il obtient son premier succès et la reconnaissance des institutions avec Brand. Suivra le fameux Peer Gynt, mis en musique plus tard par E.Grieg et qui devient le symbole de ce petit pays luttant pour son indépendance. Le succès européen s'installera avec Une maison de poupée , un impitoyable drame social toujours énormément joué, puis Les Revenants, Le canard sauvage, sans oublier une pièce malheureusement moins connue Rosmersholm. Toutes font désormais figure de classiques. Initiateur d'un genre qui fera fureur, notamment en France où on l'acclame dès la fin du XIX°, il déploie dans des pièces d'une architecture précise un carrousel de personnages qui côtoie la folie au coeur d'un monde normé et étouffant.

A la différence de bien des auteurs de cette époque, ces trois génies continuent à irriguer de leur puissance une littérature scandinave qui n'hésite pas à s'y référer, même si c'est parfois en contre, que l'on pense récemment au délicieux livre paru aux Allusifs de Dag Solstad, Honte et dignité.


Lien vers « Un continent littéraire : la Scandinavie (partie 1) »

Lien vers « Un continent littéraire : la Scandinavie (partie 3) »

Bibliographie