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Un voyage de saison

Publié le 28/04/2009
Avec les beaux jours (quels beaux jours ?...), notre esprit se fait plus voyageur, ce que les éditeurs ont bien compris qui, après des mois d'hiver plutôt pauvres en nouveautés, nous offrent quelques titres très intéressants.
A tout seigneur tout honneur, Gilles Lapouge nous offre un des premiers grands plaisirs vagabonds de ce printemps avec ce livre très personnel qu'est La légende de la géographie, parcours érudit et plein de malice d'un voyageur qui sait faire vibrer les mots et donner un sens aux événements. « La géographie est un art de la miniature », nous dit-il, et il en fait la démonstration à petites touches souvent très amusantes, révélant une fois encore son humanisme communicatif.

Autre grand humaniste et plus inattendu, Sterling Hayden, une des têtes les plus fameuses d'Hollywood après-guerre, avait aussi une vocation d'écrivain qu'il mit tout entière dans son énorme livre (750 pages) Voyage, édité par Rivages/Clairac, qui raconte deux traversées, chacune étant une vision de l'enfer sur mer mais dans des « classes » différentes. Vertement recommandé à ceux qui savent tenir la barre (et l'alcool…).

Manifestement les éditions Paulsen ont un tropisme polaire, ce qui nous vaut outre des livres irréprochables quant à leur forme, des récits stupéfiants et glaçants (ou glacés). Dernier en date Au pays du blizzard nous permet de découvrir un explorateur australien inconnu qui, à la suite de Shackleton, entreprit d'arpenter le pôle sud de 1911 à 1914 : la prose sans fioriture de cet homme énergique donne toute sa saveur à ce venteux journal.

  « La différence entre le sherpa et l'homme blanc est peut-être que le premier, l'homme asiatique, sait quand s'arrêter et peut le faire, alors que le second en est incapable. »  Cette phrase aussi définitive qu'implacable résume bien le propos d'Alain Robert Coulon dans son livre Le sherpa et l'homme blanc, fruit de plusieurs années d'études en Asie, où l'auteur a compris que ces civilisations de la modération, sans se priver de l'intensité du plaisir, seront mieux armées face aux turbulents défis du futur, ce que nos civilisations héritées de l'Antiquité ont oublié. Moins un livre de voyage donc, qu'un livre qui invite à voyager pour mieux comprendre l'humanité.

Christian Garcin est lui aussi un beau voyageur, amateur d'incertitude et de flou. Dans La piste mongole, il ressuscite le protagoniste de deux précédents romans en l'envoyant en Mongolie, territoire où la verticalité des chamanes rencontre l'innocence horizontale de l'occidental égaré. Tourbillon romanesque et fécond, Garcin nous invite au voyage sans cesser d'être romancier, gageure réussie.

On n'en finira donc jamais avec le mythe de la route 66 ? Eh bien non, comme nous le prouve Eric Sarner avec ses petites fictions d'Amérique Sur la route 66 : cette piste mythique désormais déclassée et en piteux état porte encore en elle beaucoup de ce rêve américain et de ses errances. Elle explique mieux que bien des études ce qui en fait la singularité, et à coup de brèves rencontres, drôles ou poignantes, elle revit joliment sous la plume alerte de ce grand voyageur qui en avait fait un film.

Tant pis pour ceux qui n'auront pas lu le fabuleux livre de Vassili Golovanov Eloge des voyages insensés, aventure hors du commun d'un homme en quête de lui-même au cœur d'une île abandonnée (et qui aurait mérité à lui seul un dossier tant ce livre est important). Ils pourront moins y retrouver de correspondances avec le livre que publie ces jours-ci Anne Brunswic, Les eaux glacées du Belomorkland, où à son tour cette intrépide reporter se lance le défi d'enquêter et de rêver sur un lieu oublié du soviétisme triomphant, le canal de la mer Blanche, œuvre colossale et miroir de cette société de progrès qui broyait ceux qui lui résistaient comme ceux qui la défendaient.

Dans le même esprit et chez le même éditeur, Kjartan Flogstad dont on peut lire en même temps chez Stock, Grand Manila, décrit avec minutie et sans refuser le jugement – on appelle ça un écrivain engagé – l'aventure de Pyramiden, ville idéale du socialisme russe désertée en quelques jours après les fermetures des mines de charbon à l'orée des année 90. Réflexion sur les utopies et leur crépuscule, ce faux récit de voyage est avant tout une vraie et riche étude sur la folie des civilisations sans cesser d'être un regard personnel.

La place nous manque pour évoquer d'autres livres singuliers de ce rayon sans frontières. Mais ce n'est que partie  remise…

Bibliographie