De Roger Martin du Gard aux
romanciers d'aujourd'hui la guerre de 14-18 a suscité une importante
littérature de guerre. Elle est très
vite devenue écriture pendant le conflit ainsi que dans les années qui
suivirent.
Pouvait-on écrire après la
Marne, Verdun ou le Chemin des dames ? C'est une question que ni les
combattants-témoins, ni les écrivains-combattants, ni les écrivains ne se sont
jamais vraiment posée. Tous on contribué
à la nécessaire transmission d'une histoire brutale, injuste et absurde.
De cette production, nous
connaissions surtout les textes décrivains ou d'écrivains-combattants.
Ces derniers, comme Henri
Barbusse, Roland Dorgeles, Maurice
Genevoix ou les poètes commes Apollinaire ou Blaise Cendrars donnaient alors
une description plus réaliste, moins "patriotique", de la vie et des
souffrances des soldats.
Mais, il y avait aussi tous
ces poilus qui bravaient l'oubli dans leurs lettres et carnets et pour qui l'écriture était un provisoire
échapatoire ; une force de résistance face à une action qui envahissait tout :
"Je t'écris au bruit du
canon allemand. Impression ? Nulle.Ca ne
fait pas plus de tapage qu'aux manœuvres…"
"Ici, en plus des
balles, des bombes, des obus, on a la perspective de sauter à cent mètres
enl'air d'un instant à l'autre…"
Qui sont ces soldats ? Pour
beaucoup des agriculteurs qui n'ont aucune culture géopolitique. Ils
s'inquiètent de savoir qui va moissonner, qui va vendanger.
Sur 8 millions de jeunes
hommes mobilisés, beaucoup écrivent trois ou quatre fois par jour.
Sans effet littéraire, ni
poétique, leur vocabulaire simple et juste embrasse tout : les soldats,
l'ennemi, les cheveaux ; chacun des moments où une vie forte s'en va sur
l'herbe, dans la boue, sur une civière, sous la terre.
Leur style est comme porté
par une force surnaturelle vers cette autre rive, face à eux, où conduit
l'agonie et d'où semblent venir, aussi, les lointains souvenirs de l'enfance,
l'ombre d'une main apaisante et le sourire d'une mère.
Leurs textes parlent d'abord
d'un retour proche puis de faux espoirs en faux espoirs ; de dernières
batailles en dernières batailles, ils finissent pas ne plus prévoir la fin de
la guerre.
D'un talent d'écriture
modeste, ces lettres nous fascinent :
écrites dans le feu de
l'action, en appui sur des sacs de sable, debout le corps adossé à la glaise de
la tranchée, dans la "guittoune", dans le mauvais temps.
"…Je me suis arrêté car
la pluie transformait ma lettre en bourbier…"
Et c'est bien de cela qu'il s'agit, d'un
bourbier : celui dans lequel les corps s'engluent, celui de l'écriture et de la
retranscription de l'indicible, celui des ordres et des
"Je vais donc remonter mon sac, relire vos lettres et si possible écrire tantôt ; mais la faction, le jour si court, la perspective de quarante-huit heures de tranchée…Enfin, je vous embrasse…"