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Entre mère et fille, une énigme ?

Publié le 04/08/2003
" Les hommes ne le savent peut-être pas, mais ce dont la plupart des femmes préfèrent parler entre elles, ce n'est pas d'eux : c'est de leur mère... "

[...] Tant et tant de confidences chuchotées entre filles, entre adolescentes, entre femmes adultes, entre mères, entre grand-mères même, tournent autour des faits et des dits de leurs mères"

Telle est la provocante entrée en matière du maintenant célèbre livre de Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich qui connut à sa sortie (et encore aujourd'hui) un grand succès de librairie. Il faut dire que le sujet est universel et que si toutes les femmes ne deviennent pas mère du moins en ont-elles toutes eu une. Peu de livres malgré tout traitent de ce sujet ; et pourtant il est maintenant admis que la relation mère-fille ne relève pas simplement de la relation parents-enfants mais a sa propre spécificité.

Freud n'a guère approfondi cet intense attachement dont la problématique aurait sa source dans la phase œdipienne du développement, la " féminité " restant elle-même relativement énigmatique, " un continent noir " ainsi qu'il la nommée. Jacques Lacan choisit le terme de " ravage " pour désigner ce rapport entre une mère et sa fille, notion que reprendra la psychanalyste Marie-Magdelaine Lessana dans son ouvrage.

" Le ravage entre fille et mère n'est pas un duel, ni le partage d'un bien, c'est l'expérience qui consiste à donner corps à la haine torturante, sourde, présente dans l'amour exclusif entre elles (…). Il révèle l'impossible harmonie de leur amour qui se heurte à l'impossible activité sexuelle entre elles. L'épreuve se traversera quand l'image fascinante sera atteint au point de déchoir ".

Le grand pédiatre Aldo Naouri parle lui aussi d'une violence insoupçonnée, voire déniée, qui aurait son origine dans la " trahison ", et sa culpabilité, de la fille qui " pour échapper au destin homosexuel auquel l'aurait condamnée sa fixation au premier objet d'amour qu'elle a eu, à savoir sa mère, n'a pas d'autre choix que de se tourner vers son père " .

La difficulté à traverser cette épreuve peut donc expliquer les rapports paradoxaux entre mères et filles et même éclairer certains problèmes conjugaux ainsi que des actes de folie comme le cas des sœurs Papin par exemple (cf Entre mère et fille : un ravage).

Si le sujet reste délicat et fort complexe, les travaux d'Aldo Naouri qui relate ses propres expériences de pédiatre ou l'analyse très fine par Marie-Magdeleine Lessana de nombreux grands "cas" (Madame de Sévigné et Madame de Grignan, Marguerite Anzieu sujet de la thèse de doctorat de Lacan, Camille Claudel…) offrent des approches vivantes, littéraires et très claires de cet étrange lien. Quant à la psychanalyste Caroline Eliacheff et la sociologue Nathalie Heinich, elles puisent dans la fiction romanesque et cinématographique pour illustrer leur propos et éclairer de leur double regard cette relation à trois : "être une fille pour sa mère, et éventuellement une mère pour sa fille".

Isabelle Soulié

Image d'illustration d'après Robert Doisneau DR.