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L'élection présidentielle française face aux grandes questions internationales

Publié le 05/04/2012
Dossier réalisé par Gérard Dussouy, professeur de géopolitique à l'université Montesquieu de Bordeaux et chercheur au Centre d'analyse politique comparée, de géostratégie et de relations internationales.Retrouvez tous les dossiers relatifs aux Présidentielles 2012 dans « Aux Livres Citoyens ! »
L'Europe, principalement la zone euro, et le monde sont entrés, depuis quelques mois, dans une période de grandes turbulences, annonciatrices de temps difficiles. D'autant plus qu'elles vont de pair avec le bouleversement en cours des équilibres planétaires. L'on peut ainsi penser que la prochaine élection présidentielle qui va avoir lieu en France va se dérouler sous la contrainte internationale. Avec tout ce que cela peut comporter de jugement irrationnel, le crédit des différents candidats, dans un premier temps, puis celui de l' (heureux) élu, dès les premiers mois de son installation à l'Élysée, sera évalué à l'aune des crises qui vont se succéder.

Euro, Europe !

Tout laisse à penser que la crise monétaire va se répéter tout au long des mois à venir parce que la dette ne va pas disparaître du jour au lendemain et qu'il faudra des années d'austérité, pas faciles à faire accepter par l'opinion publique, pour la résorber, c'est-à-dire pour faire disparaître les causes structurelles de son existence. Une longue récession s'annonce, avec la désindustrialisation et le vieillissement démographique comme facteurs aggravants. Dans quel état sera la zone euro dans les mois qui viennent ? La France, qui vient de perdre son triple A, a plus que jamais besoin de la caution de l'Allemagne qui a pour elle ses excédents commerciaux, même si son endettement est lui aussi conséquent. Est-elle prête à accepter la restructuration de la zone euro dans un sens fédéral ? Le seul qui puisse assurer son sauvetage. Sachant qu'elle a toujours refusé le fédéralisme européen (plans Schäuble et Fischer, sans parler du plan Pleven –qui était pourtant le sien- en 1954), au nom de la souveraineté ? A nouveau, un vent de germanophobie se lève de tous les côtés. Mais qu'est-ce-que la souveraineté sans la puissance, sinon une fiction ? C'est à dire si l'on n'a pas la capacité de négocier, parce que l'on s'est mis dans une situation de dépendance financière dont on ne sait comment s'extirper, et de construire une stratégie de croissance, parce que l'on n'a ni les ressources pour le faire, ni les opportunités pour la mettre en œuvre. Bien sûr, il reste alors la possibilité de continuer à consommer « souverainement » la richesse acquise, les derniers restes d'une prospérité passée.
Le président de la France élu en 2012 aura ainsi la responsabilité, avec une poignée d'autres chefs d'État ou de gouvernements européens, de non seulement maintenir en vie la zone euro, quitte à en réduire le périmètre, mais d'envisager une reconfiguration de l'Union européenne afin de rassembler les dernières forces vives du continent. Avec sans doute la nécessité de réviser, dans le même temps, les relations économiques extérieures de l'U.E., fondées sur le multilatéralisme et le libre-échange, afin d'en assurer la viabilité et d'éviter le naufrage social.

La Grèce gronde

Le peuple grec ne comprend pas que les efforts redoublés qui lui sont demandés ne suffisent pas à rassurer l'Union européenne et les banques. La faillite la menace toujours. Athènes devait encore présenter devant l'Eurogroupe, à Bruxelles le Lundi 20 Février, un plan d'économies supplémentaires de 325 millions d'euros afin que soient débloqués les prêts qu'elle attend avec impatience. De surcroît, la Grèce doit rembourser dès le mois de mars des créances d'une hauteur de plusieurs milliards d'euros, et il n'est pas assuré, à ce compte-là, qu'elle puisse se maintenir, ou être maintenue, encore longtemps dans la zone euro. Certes, les instances dirigeantes de l'Europe se veulent rassurantes sur ce sujet, car il arrive un moment où le débiteur tient ses créanciers en otage quand sa faillite éventuelle peut engendrer chez ces derniers autant ou plus de dommages qu'à lui-même.
Le nœud gordien grec n'est donc pas tranché, mais il met en exergue des problèmes qui concernent la majorité des partenaires européens de la Grèce: Le problème de la modernité de l'État qui, dans ce cas précis, laisse tout à fait à désirer quand on sait sur quel type de système fiscal il repose. Celui de la gestion de l'argent public, où dans un pays comme la France la politique du « laissez faire et du laissez aller », pendant deux double septennats d'obédience politique différente, a conduit aux dettes et aux déficits actuels. Au point que...
Celui des carences de la gouvernance européenne- mises en évidence par son désarroi face à la crise engendrée par une adhésion mal appréciée et mal préparée de la Grèce à la zone euro- qui s'expliquent par l'absence de toute réflexion et surtout de tout projet stratégique dans tous les domaines, partant du principe qu'il suffit de s'en remettre au marché.
Celui enfin, et c'est sans doute le plus préoccupant, de la confiance politique, celle des Grecs envers leurs gouvernants, et envers l'Union européenne, et vice versa, mais aussi, de plus en plus, ailleurs qu'en Grèce, et entre Européens.

Amérique !

L'élection présidentielle française est presque concomitante de l'élection américaine (novembre 2012) du même niveau. Mais avec la différence que l'élection du président des États-Unis concerne un pouvoir international d'un autre acabit, et dont les répercussions sur les affaires mondiales sont d'un autre poids. Sachant que l'économie américaine est la plus endettée du monde, si l'on cumule les dettes publiques et privées, et qu'il n'est pas question de réformer le système fiscal américain, tout est possible de l'autre côté de l'Atlantique en matière de politique commerciale, après l'échec de la « super-commission » du Congrès américain à trouver 1500 milliards de dollars d'économies sur dix ans.
Depuis la crise du dollar et sa dépréciation (elle est annoncée de l'ordre de 30% en 2012, par de nombreux experts) ou sa dévaluation orchestrée, jusqu'à un retour à des mesures protectionnistes (déjà évoquées par le Sénat), en passant par une relance de la crise de l'endettement public dans la zone euro (dont l'abaissement de la note de la France est un moyen), tout est possible. Toutefois, l'Europe est peut-être à l'abri de ce dernier procédé dans la mesure où les grandes banques américaines, dont Goldman Sachs, ont assuré des quantités importantes de la dette européenne et qu'elles seraient tenues de rembourser les pertes (Credit Default Swaps), en cas de faillites, au risque d'imploser elles-mêmes comme cela vient d'arriver au fonds d'investissement MF Global. Le problème majeur est la paralysie totale du système politique fédéral américain et la mise en cause dans les mois à venir de la pyramide de l'endettement américain dans un contexte de récession de plus en plus évident.

Renversement du monde !

La principale conséquence politique de la mondialisation est l'émergence de nouvelles puissances dont la position et le gabarit géographiques conduisent à une marginalisation des pays européens. En particulier l'ascension du nouvel empire chinois, un colosse comme l'Histoire n'en a jamais connu, bouleverse la donne internationale. Aujourd'hui au plan économique, industriel et financier ; demain au plan politique et culturel. Avec, d'un côté, une « asianisation » du monde qui s'est mise en marche et avec de l'autre un Islam riche ou populeux toujours réticent, ce sont les représentations plus ou moins ethnocentriques (avec les valeurs qu'elles véhiculent) et datées (elles remontent aux 18° et 19° siècles) des Occidentaux qui sont mises en cause. Une chose est certaine : l'Histoire ne s'écrit déjà plus en Europe, et ses dirigeants vont de plus en plus le constater.

Étranger proche !

Le poids du monde se fait sentir sur l'environnement immédiat de la France et de l'Europe, au Sud en particulier. Pris de court par les événements du « printemps arabe », Français, Anglais et Américains se sont crus obligés d'intervenir en Libye pour y favoriser l'ordre démocratique. Mais là comme ailleurs, on n'a toujours pas de réponse à la question de savoir s'il s'agit d'une révolte (contre un tyran) ou d'une révolution (ouvrant la voie à la modernisation politique). A l'issue des dernières élections, une seule chose est claire : avec les succès du parti Ennhada en Tunisie, du parti de la Justice et du droit au Maroc, et des Frères Musulmans en Égypte, sans parler de la Libye, les régimes autoritaires mais laïcs issus du nationalisme arabe cèdent le pouvoir à des islamistes et non pas à des démocrates à la mode occidentale. Certes, on entend ici, en France, considérer ces islamistes comme des « modérés », mais leurs partis respectifs ont tous comme projet de « réislamiser » la société. Une telle « modération » n'est pas vraiment synonyme de libéralisme.

En réalité, on n'est pas prêts de connaître la réponse posée plus haut, sachant que le défi principal pour les États concernés est le développement économique et la résolution de la question sociale. C'est là une difficulté de plus pour nos dirigeants actuels et à venir parce qu'il leur faut prévoir et prévenir, autant que faire se peut, une radicalisation des États arabes, et une intensification trop déstabilisante des flux d'immigration. On le voit, en matière de politique internationale, les questions, souvent cruciales, à poser aux différents candidats ne manquent pas. Gageons qu'elles ne seront pas éludées, comme cela a toujours été le cas dans le passé !


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Photographie : ©Dodo


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