« Depuis une quinzaine d’années, le public français a découvert, plus profondément qu’auparavant, l’ampleur de la Shoah à l’Est. Le génocide est certes un projet nazi à l’échelle européenne, dans toute son ampleur, mais il était parfois perçu majoritairement dans sa réalité occidentale : la persécution, la déportation, les camps de la mort. Depuis l’ouverture des archives après la chute du rideau de fer, de nombreux livres permettent aujourd’hui de restituer la spatialité du génocide, en Pologne, en Russie, en Ukraine, dans les pays baltes… Des « unités de tuerie mobile » (Einsatzgruppen) au ghetto de Vilnius, en passant par l’anatomie du génocide à l’échelle d’une petite ville comme Buczacz (Omer Bartov), il est possible, pour le public français, de mieux comprendre aujourd’hui les dynamiques de violence à l’échelle locale, dans des « terres de sangs » (T. Snyder) qui vécurent des paroxysmes de violence. De ce fait, si le débat sur la décision de la Shoah par les autorités centrales et toujours vivace, c’est surtout à l’échelle locale que se comprend aujourd’hui le génocide.
Cela aboutit à repenser la distinction si puissante entre l’historiographie des « bourreaux » d’un côté et celle des « victimes » de l’autre. La « recherche sur les bourreaux » a beaucoup progressé, livrant aussi bien des biographies – comme celle de Werner Best – que des portraits de groupes – chez Christopher Browning ou Christian Ingrao. Ces recherches permettent de comprendre les motivations de court et de long terme qui ont permis aux nazis d’accomplir le pire. Nos connaissances des victimes, les Juifs d’Europe, ont, de même, énormément évolué, à travers un effort constant de mise en valeur de la vie juive de l’avant-guerre, mais également en exhumant des témoignages toujours plus nombreux du processus de destruction, comme celui, poignant, de Yitskhok Rudashevski à Wilno.
Mais les études locales, justement, montrent la complexité des situations, et notamment la part des populations locales dans le processus d’extermination, à l’Est comme à l’Ouest. Les « voisins » de Jan Gross constitue une nouvelle figure essentielle de notre compréhension du génocide : sans l’aide de millions d’Européens, mus par l’antisémitisme ou des intérêts pécuniaires, le génocide n’aurait pas pu avoir lieu ; de même, sans l’aide des administrations nationales des pays occupés, la Shoah n'aurait pas eu l’ampleur qu’on lui connaît. De ce point de vue, alors que certains cherchent à relativiser le poids de la France de Vichy dans la destruction des Juifs, cette bibliographie propose des recherches récentes pour documenter la vérité historique.
Le revers de la figure de ces Européens qui ont facilité le projet nazi est celle des « Justes », et des résistants : les recherches récentes remettent également en valeur le poids des résistances juives, qui vinrent s’opposer, chaque fois que cela était possible, à la volonté de destruction nazie. Le public français dispose aujourd’hui de nombreux livres traduits, qui lui permettent, nous l’espérons, de mieux comprendre la catastrophe du XXème siècle. »
[ La librairie Mollat remercie Nicolas Patin, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Bordeaux-Montaigne (Bordeaux III), pour sa collaboration et la rédaction de ce dossier consacré à l'histoire de la Shoah. ]