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Et si... Balade en uchronie

Publié le 13/06/2002
Parfois l'on se dit : "Ah, si seulement j'avais réussi ceci, ou évité cela", et l'on se plaît à imaginer quelle vie on aurait eu alors. Avec cette narration intérieure, sans le savoir, on fait de l'uchronie, qui n'est pas une maladie mentale, mais un des sous-genres de la science-fiction.

"L'uchronie (aussi appelée histoire alternative, ou encore allohistoire), est un mot forgé sur l'étymologie u- (non, privatif) et chronos(temps) : c'est un non-temps, (...) c'est-à-dire un temps, une histoire, fictifs, imaginaires, irréels même s'ils auraient pu exister. En effet, l'uchronie constitue une alternative à notre histoire réelle, ce que les anglophones appellent un what if (Et si cet événement s'était produit différemment ?) (...) " .H. Baratte .

Cet exercice intellectuel n'est pas propre à la SF : c'est sous la plume du philosophe français Charles Renouvier qu'apparaît le terme, en 1876, dans le titre de son livre Uchronie, l'utopie dans l'histoire. Ce n'est qu'après la seconde Guerre Mondiale que les auteurs de science-fiction vont féconder leur imaginaire avec l'uchronie ; les romans fondés sur l'exploitation d'une Histoire divergente vont se multiplier pour le plus grand enrichissement du genre, à tel point que l'uchronie sera assimilée à un sous-genre de la SF. Pour gouter aux fruits science-fictionnels de l'uchronie, et se mettre en appétit, deux recueils de nouvelles s'imposent : Horizons divergents pour découvrir le travail des auteurs francophones et Le Nez de Cléopâtre de Robert Silverberg, un des maîtres américains de la SF.

Côté romans, quatre oeuvres se détachent et composent le coeur de l'uchronie. Deux ne sont malheureusement plus édités actuellement, Pavane de Keith Roberts et Rêve de Fer de Norman Spinrad. En revanche, on peut encore découvrir Le Maître du Haut-Château de P. K. Dick et La Porte des Mondes de R. Silverberg. Dans le premier, les personnages évoluent dans une Amérique divisée entre l'Empire japonais et le Troisième Reich, après la capitulation des Alliés en 1947. Roman étouffant, crépusculaire, mélange étrange de décors américains et de culture nippone, c'est un classique de la SF. Dans le second, le point de divergence est plus habile : la Grande Peste européenne du XIVe siècle a été bien plus meurtrière que dans notre réalité, permettant aux Turcs de conquérir une Europe décimée ; dès lors, les Amériques ont fini par être toutes entières dominées par l'empire Aztèque, qu'un jeune anglais, Dan, découvre au XXe siècle, en y allant chercher fortune. A propos de La Porte des Mondes, J. Boireau a écrit dans une revue de SF : " L'uchronie prend ici les couleurs du dépaysement, ce qui n'a rien d'étonnant : prenant le contre-pied de l'Histoire, elle est, aussi, un exotisme tempore l (...) ". Cette liberté de revisiter notre passé, d'en jouer comme d'une pâte à modeler a eu un effet déshinibiteur sur les auteurs qui leur a permi de s'échapper des canons stricts de la SF. Ce qui explique sans doute que le plus souvent l'uchronie n'est pas traitée pour elle-même mais est associée à d'autres dispositifs ou d'autres thèmes science-fictifs ou fantastiques, comme on peut le constater avec les oeuvres évoquées ci-dessous.

Les Conjurés de Florence de Paul J. McAuley hybride l'uchronie avec le polar. Dans cette Italie du XVIe siècle, à Florence, Léonard de Vinci a lancé la révolution industrielle en s'acharnant à donner vie aux machines dessinées dans ses carnets. Et voici que Raphaël est assassiné, après son assistant ; Pasquale, un jeune peintre, et Machiavel... un journaliste alcoolique de la Gazette de Florence, vont mener l'enquête pour débrouiller une intrigue vraiment florentine.

Jack Faust de Michael Swanwick mèle l'uchronie (la Révolution industrielle arrive deux siècles en avance en Angleterre) et le mythe (à cause des inventions de Jack Faust, auquel une mystérieuse entité nommée Méphistophélès a accordé des connaissances scientifiques extraordinaires). Dans Les Démons du Roi Soleil et L'Algèbre des anges, Gregory Keyes nous immerge dans un XVIIIe siècle débutant où Isaac Newton fait des découvertes explosives en alchimie, science parfaitement exacte. Elles vont peser lourd dans le conflit qui oppose l'Angleterre à une France encore dirigée par un Louis XIV qui n'est pas mort en 1715 ; et c'est sans compter avec les anges, de mystérieuses entités...

Quant à Orson Scott Card,Les Chroniques d'Alvin le Faiseur, son plus beau cycle, se déroulent aux Amériques, au tout début d' " un " XIXe siècle. En ouvrant le premier volume (Alvin le Faiseur), on découvre une carte politique de l'Amérique du Nord très décalée par rapport à ce qu'elle devrait être : des Etats-Unis réduits à six états côtoient les colonies de la Couronne, l'Appalachie, et divers territoires nés d'une conquête de l'Ouest qui avance si lentement qu'elle n'a pas encore franchi le Mississipi. Dans cette Amérique, tout un chacun possède un talent parapsychologique, les Blancs y pratiquent couramment la sorcellerie, les Indiens la magie.

Parlons encore de L'Empreinte des dieux de Rachel Tanner dans lequel dieux et sorciers vont cotoyer les sujets d'un Empire romain d'Occident, toujours debout au VIIIe siècle et dont la religion officielle est celle de Mithra depuis Constantin Ier.

Un auteur français, Johan Héliot, est particulièrement associé à l'uchronie, puisqu'elle est à la base de ses deux romans. Dans le premier, La Lune seule le sait, Jules Vernes est impliqué au plus haut niveau dans la résistance à la dictature de Napoléon III, dont le Second Empire perdure grâce à son alliance avec les Ishkiss, des extraterrestres échoués sur la Lune. Dans le second, nous suivons les aventures de Geron, à la fin du XVe siècle, enrôlé de force dans la légion de Libertas, capitale de la République du Nouveau Monde, fondée par des colons romains échoués en 44 avant J.-C. sur le continent américain ; Reconquérants narre la traversée vers l'est de cette légion, partie retrouver Rome et reconquérir l'Ancien Monde en un voyage de Christophe Colomb à l'envers. Ce dernier fait d'ailleurs partie des personnages du livre, car J. Héliot affectionne particulièrement la mise en scène décalée de personnages célèbres.

Loïc Nicolas

Bibliographie